Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/131

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votre cuisse gauche ? » — Le noyé se raccroche à un fétu. « — Holà ! page, cours chez les fraters ! — me crie le capitaine ; — ramène-les sur l’heure. — Seigneur, voici les chirurgiens. — J’ai souffert mort et passion pour la guérison de ma jambe droite ; je souffrirai autant et plus pour la guérison de ma cuisse gauche. Pouvez-vous la guérir ? » — dit don Ignace aux rebouteurs. Et les voilà tâtant, pressant, pétrissant, manipulant la cuisse bistournée du patient en hochant la tête et matagrobolisant entre leurs dents : « — Seigneur, nous pouvons, item, vous délivrer de cette boiterie ; … il nous faut, premièrement, vous assujettir sur le dos, immobile pendant deux mois, au moyen d’une ceinture d’acier fixée au bois de votre lit… secondement, l’on passera une écharpe sous vos bras, laquelle écharpe sera solidement assujettie au dossier de votre couche… tiercement, l’on suspendra, au moyen d’un anneau, un poids de cinquante livres à votre jambe gauche, à seule fin que ledit poids distende constamment votre cuisse, puisque vous serez maintenu immobile dans votre lit moyennant l’écharpe et la ceinture d’acier. Or, à l’aide de ces machines, avant deux mois votre cuisse aura récupéré sa longueur, et le cerf des forêts sera moins alerte que votre excellence… — Faites ! — dit Loyola ; — tiraillez, distendez, écartelez-moi s’il le faut, sang-Dieu ! mais que je marche droit !… »

— C’était affreux ! — reprit Christian ; — c’était le supplice du chevalet… prolongé au-delà des limites de la souffrance possible !…

— Ventre saint Quenet ! quoi d’impossible à un galant résolu de ne point béquiller ?… Don Ignace a subi cette torture pendant deux mois ; le vieux majordome et moi, nous veillions notre maître. Il poussait parfois des cris… ah ! quels cris ! on les entendait de la rue. Enfin, lorsque, brisé par la douleur, il fermait les yeux pour sommeiller, presque aussitôt la souffrance le réveillait en sursaut ; alors, ce n’était plus des cris, mais des hurlements de damné !… Au bout de deux mois d’insomnie, de supplice, n’ayant plus que la peau sur