Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/132

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les os, mais jusqu’alors, du moins, soutenu par l’espoir de sa guérison, le capitaine Loyola, d’après le conseil des fraters, quitte son lit de torture, se lève, marche… Diavol ! non-seulement sa cuisse n’était point rallongée ; mais son genou, tenu si longtemps immobile, restait ossifié… Le capitaine Loyola ne souffla mot, devint livide comme un cadavre, tomba sans connaissance ; on le crut trépassé. Le lendemain, le majordome m’a signifié que notre maître n’avait plus besoin de page, m’a remis quelque argent ; j’ai quitté l’Espagne, je suis revenu en France avec d’autres prisonniers… Tantôt seulement, depuis quinze ou seize ans, j’ai rencontré sous les piliers des halles don Ignace de Loyola, en compagnie de votre ami Lefèvre. Voilà, beau-frère, mon récit… Jarnigoy ! il est salé ! Aussi, ventre saint Quenet ! la langue me pèle ! mon gosier arde ! il prend feu ! à l’aide ! au vin ! au vin !… le vin se change en eau pour éteindre l’incendie !… Je cours chercher ce fameux nectar d’Argenteuil ! — ajouta le franc-taupin en se levant ; — je reviens tôt, et alors, trinquedrille… trinquedraille avec notre hôte ! à plein pot, grand’goùle ! la mienne est un entonnoir !

Et Joséphin sortit en chantant son refrain favori :

« Un franc-taupin, un arc de frêne avait
» Tout vermoulu, la corde renouée ;
» Sa flèche était de papier empennée,
» Ferrée au bout d’un ergot de chapon !
» Derideron, vignette sur vignon ! »

À peine le franc-taupin fut-il sorti, que l’inconnu dit à Christian :

— Le récit de votre beau-frère est une révélation pour moi ; la vie passée d’Ignace de Loyola m’explique sa vie présente…

— Mais cet homme, quel est-il ? D’où vient l’intérêt, la curiosité, l’inquiétude qu’il semble vous inspirer ?

Christian parlait ainsi lorsque sa femme descendit ; à sa vue, il se rappela qu’il était urgent de conduire l’inconnu au galetas avant le retour de Joséphin.

— Brigitte, dit l’artisan, — Hêna est-elle couchée ?