Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demi dite ; ils marmottent leurs patenôtres pour gagner leurs soupes grasses et non pour sauver leurs âmes…

— Joséphin, mon cher frère…

— Mais vous, mon révérend, vous qui travaillez dans la science, vous qui défendez les opprimés, vous qui réconfortez les affligés, vous qui sacrifiez votre cœur pour autrui, vous qui subvenez aux souffreteux, vous qui endoctrinez les petits enfants comme le bon docteur évangélique… vous n’êtes point de ces croqueurs de patenôtres, de ces grands avaleurs de messes, quoique vous portiez leur robe. Aussi, les mauvais-garçons, tireurs de laine et autres confrères in partibus des moines moinaudant, pourraient, flairant sous votre froc un honnête homme, vous mettre à mal par unique haine du bien… Donc, vous prendrez mon bras, diavol ! sinon, je vous accompagne malgré vous…

La famille de Christian, d’abord alarmée de l’étrangeté des premières paroles du franc-taupin, mais bientôt rassurée, loin de l’interrompre, se plut à l’écouter louanger à sa mode le jeune religieux ; Hêna, surtout, par son sourire ingénu et charmé, semblait applaudir son oncle, tandis qu’Hervé, contenant à peine sa sombre impatience, jetait un regard oblique et chargé de haine sur frère Saint-Ernest-Martyr. Celui-ci répondit au franc-taupin :

— Mon cher frère, si la plupart des moines sont malheureusement tels que vous les dépeignez, plaignez-les, pardonnez-les ; s’ils sont autres que vous le croyez, s’ils sont méritants, faites chrétiennement des vœux pour qu’ils persévèrent dans la bonne voie. Vous m’offrez votre bas, je l’accepte… si je le refusais, vous penseriez peut-être que je conserve quelque ressentiment de votre malicieuse satire.

— Du ressentiment ! vous, mon révérend ! autant parler de la férocité de l’agneau… Bonsoir, chère sœur, bonsoir mes enfants, — ajouta le franc-taupin, embrassant tendrement tout à tour Brigitte, Hêna et Hervé. — Il manque à mes embrassades que mon petit