Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/191

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Pendant que tant de douloureux événements se passaient dans sa maison, Christian, accompagné de son hôte mystérieux, gravissait les premières pentes de la colline de Montmartre en suivant le chemin qui conduit à l’abbaye.


— Monsieur Lebrenn, — dit M. Jean, depuis quelques moments silencieux, — je croirais faire acte d’ingratitude et de défiance en vous cachant plus longtemps mon nom ; peut-être est-il déjà parvenu jusqu’à vous… Je suis Jean Calvin.

— Vous, monsieur ? — reprit Christian avec un accent de surprise et de profonde déférence. — Ah ! je m’honorerai toujours d’avoir donné asile au chef de la réforme en France, à celui qui propage les idées nouvelles au péril de sa vie…

— Il n’y a pas d’apostolat sans martyrs ; notre cause les compte déjà par milliers… Peut-être augmenterai-je bientôt leur nombre, ma vie est entre les mains du Seigneur !

— Nos ennemis sont puissants.

— Savez-vous, si je ne me trompe, quels seront les plus acharnés d’entre eux ?…

— Achevez, monsieur…

— Ce seront les jésuites, de qui vous avez hier surpris le secret. Leurs desseins n’étaient cependant pas si absolument cachés que je ne fusse déjà vaguement instruit des efforts tentés par leur chef pour grouper autour de lui des hommes actifs, dévoués, résolus ; de là, le vif intérêt que m’inspirait le récit de votre parent, autrefois page de Loyola, en ce temps-là capitaine. Cette révélation et la vôtre m’ont donné la clef du caractère du fondateur de la compagnie de Jésus, de son implacable besoin de domination et des moyens dont il se sert pour assouvir son ambition et la faire partager, la léguer à ses sectaires. La discipline militaire, qui rend le soldat l’instrument passif de son chef, appliquée à la domination des âmes, qu’elle rend non moins passives, non moins serviles ; cet infernal projet d’attirer à soi, de diriger, d’assujettir toutes les consciences, grâce à la compli-