Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/190

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près de laquelle les archers passaient en ce moment ; la femme de Christian voit le franc-taupin agenouillé au pied de cette croix se frappant la poitrine à grands coups de poing et criant comme un énergumène :

— Seigneur ! Seigneur ! ton œil a tout vu… ton oreille a tout entendu… rien n’est caché pour toi… aie pitié de moi, misérable pécheur que je suis !… grâce à toi, je serai sauvé… j’en ai l’espoir ! !

— Voilà un bon catholique ; il ne saurait manquer de faire son salut, — dit le sergent du guet en se signant devant la croix et remarquant le franc-taupin à genoux, qui continuait à se frapper la poitrine avec furie, tandis que les archers s’éloignèrent en emmenant leurs prisonniers.

— Soyez béni, mon Dieu ! — se disait Brigitte, devinant la secrète pensée de Joséphin, — mon frère a tout vu, tout entendu ; il restera aux abords de la maison, il espère sauver Christian du danger qui le menace, il lui apprendra que ma fille est conduite au couvent des Augustines et moi à la prison du Châtelet.

Tel était en effet le dessein du franc-taupin. Lorsque les archers eurent disparu, il se rapprocha de la maison de Christian, la contemplant avec une profonde tristesse à la brillante clarté de la lune. Par hasard son regard s’arrêta sur un scapulaire tombé au seuil de la porte ; il le reconnut pour l’avoir vu sur la poitrine d’Hervé lorsqu’il allait parfois le soir lui dire adieu et l’embrasser dans son lit. Les cordons de ce scapulaire, contenant la lettre d’absolution, s’étant rompus durant la lutte violente d’Hêna contre son frère, le sachet, détaché du cou d’Hervé, avait coulé entre sa chemise et son pourpoint ; puis glissé à terre lorsque la famille captive quittait sa demeure. Le franc-taupin ramassa en soupirant cette relique, elle appartenait à un neveu qu’il chérissait et dont il ignorait les crimes ; il se promit de la conserver comme un souvenir et resta aux aguets sur le pont, guettant le retour de Christian afin de l’avertir du danger qui l’attendait chez lui et de l’arrestation de sa femme et de ses enfants.