Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce moment… hélas ! j’ai tant de choses à t’apprendre ; vous serez, toi et mon bon père, si étonnés, si chagrins peut-être, en sachant qu’aujourd’hui même…

Mais il me faut reprendre mon récit à dater de ce malheureux jour où nous avons été conduites, toi à la prison du Châtelet, moi ici… J’ignore ce qui vous est advenu à toi et à mon père ; mes questions à ce sujet ont toujours été vaines. L’on m’a constamment répondu que vous jouissiez d’une bonne santé… Je l’espère, je le crois ; quel intérêt aurait-on eu à m’abuser ?

J’ai donc été amenée ici au milieu de la nuit et enfermée dans une cellule, sans avoir vu personne que la tourière. Te dire combien j’ai pleuré, à quoi bon ? Tu le devines… Le matin venu, la tourière m’a appris que j’aurais, à midi, la visite de madame la supérieure ; j’ai demandé la permission d’écrire à ma famille, afin de l’instruire du lieu de ma réclusion, l’on m’a répondu que l’abbesse déciderait de cela. Elle s’est rendue auprès de moi à midi. J’ai cru d’abord voir en elle une dame de la cour, tant elle était superbement parée ; rien dans ses vêtements ne rappelait le costume religieux. Elle est jeune et belle ; il m’a semblé lire la bonté sur son visage. Je me suis jetée à ses pieds, la suppliant de me faire conduire auprès de mes parents ; voici sa réponse :

— Ma chère fille, vous avez été élevée dans l’impiété ; vous êtes ici pour travailler à votre salut. Lorsque vous serez suffisamment instruite dans notre sainte religion catholique, apostolique et romaine, vous prononcerez des vœux éternels afin d’entrer dans notre ordre des Augustines ; il vous sera ensuite permis de revoir vos parents. Vous ne quitterez pas cette cellule ayant d’avoir pris le voile ; vous sortirez seulement chaque jour pour faire une promenade sous les arceaux du cloître en compagnie de l’une de nos sœurs. Il dépend de vous d’acquérir promptement l’instruction religieuse nécessaire pour entrer dans notre ordre ; après quoi, je vous l’ai dit, vous pourrez revoir chaque semaine votre famille.