Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/224

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— Mais, madame, je n’ai jamais eu la vocation religieuse, — dis-je à l’abbesse ; — et aurais-je cette vocation, je ne prononcerais pas des vœux sans le consentement de mon père et de ma mère.

— Votre père est dans les cieux, c’est le Seigneur Dieu ; votre mère est aussi au ciel, c’est la sainte vierge Marie. À ces divins parents, vous devez obéir et satisfaire ; mais non à vos parents charnels. Hérétiques, ils vous ont infectée d’une pestilentielle hérésie ! le Seigneur, dans sa miséricorde, a voulu, pour le bonheur de votre âme, vous enlever à cette école de perdition ; le giron de notre sainte mère l’Église vous est ouvert, revenez-y. Soyez docile, vous serez heureuse ; sinon, à mon grand regret, j’emploierais de salutaires rigueurs afin de vous contraindre à votre propre bien. Dès demain, un de nos frères de l’ordre de Saint-Augustin viendra vous donner l’instruction religieuse ; et, je vous le répète, vous n’aurez aucun rapport avec vos parents avant la prononciation de vos vœux ; il dépend ainsi de vous de revoir bientôt votre famille.

La supérieure, sans vouloir m’entendre davantage, m’a laissée seule. Il me fallait donc embrasser la vie monastique ou perdre l’espérance de jamais vous revoir, mon bon père, ma bonne mère ! Cette pensée fut affreuse pour moi ; je résolus de résister aux volontés de l’abbesse ; ma détermination à ce sujet une fois connue, l’on me rendrait sans doute ma liberté.

Vers la fin du jour, l’une des sœurs vint me proposer une promenade sous les arceaux du cloître ; je lui déclarai qu’aucune puissance humaine ne me contraindrait à des vœux qui devaient à jamais m’éloigner de mes parents bien-aimés. Cette religieuse, d’une figure sèche et méchante, m’engagea froidement à bien réfléchir à mes paroles ; car si, par obstination, je refusais, — disait-elle, — de faire mon salut, l’on saurait m’y forcer. Je persistai dans mon refus. Notre promenade terminée, je regagnai ma cellule ; l’on m’apporta mon repas ; je me couchai profondément attristée.

Au milieu de la nuit, je fus réveillée brusquement ; la vieille re-