Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/232

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gnement invincible, j’écoutais à peine ses paroles ; il s’en plaignit à l’abbesse. Elle me manda chez elle et me déclara qu’instruite ou non, je prononcerais mes vœux le surlendemain ; en ce cas, l’on me permettrait de voir ensuite ma famille ; mais si je refusais de prendre le voile, je serais de nouveau victime des rigueurs déjà exercées contre moi. Je demandai à l’abbesse un jour pour réfléchir et me décider ; elle me l’accorda… Mes réflexions ont été navrantes, mère, les voici…

Me refuser à entrer en religion, — me suis-je dit, — c’est m’exposer à subir encore ces violences, ces châtiments, dont le souvenir me rend pourpre de honte… c’est renoncer à mon unique espérance de revoir de temps à autre mes parents bien-aimés ; car, déjà brisée par les chagrins, par la maladie, les mauvais traitements m’achèveraient, et je mourrais bientôt dans ce couvent… Il faut donc me résigner à prononcer mes vœux ! D’ailleurs, si, par impossible, recouvrant ma liberté, je retournais dans la maison paternelle, et qu’Hervé dût y revenir aussi, repentant du passé, maudissant son égarement et méritant son pardon, je lui pardonnerais l’horreur qu’il m’a causée ; mais vivre près de lui serait au-dessus de mes forces… Il faudrait donc qu’il abandonnât la maison, qu’il me fût sacrifié, malgré ses regrets sincères de sa funeste aberration ! Ou bien, le jugeant indigne de leur clémence, mes parents l’éloigneraient de chez eux sans espoir de retour. Enfin, mon fatal amour pour frère Saint-Ernest-Martyr ne finira qu’avec ma vie… ne pouvant être à lui, je n’épouserai personne… renoncer à lui, c’est renoncer au monde. Pourquoi résister plus longtemps à la violence qui m’est faite ? pourquoi ne pas prendre le voile ?… Si je m’y résigne, l’on m’assure que je verrai chaque semaine mes parents ; et mon absence de la maison leur permettra, soit bientôt, soit plus tard, de se montrer cléments pour Hervé…

Hélas ! mère, telles ont été mes réflexions… qu’ajouterai-je ? J’étais seule, sans conseil, affaiblie par la souffrance, obsédée par des