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FRAGMENTS DU JOURNAL D’ERNEST RENNEPONT
en religion, frère saint-ernest-martyr.

Décembre, 1534................................

Seigneur Dieu ! ayez pitié de moi ! Je viens de revoir cette jeune fille ! je l’ai confessée dans le couvent de nos sœurs augustines ! Elle y est enfermée ; on veut la contraindre à prononcer ses vœux !

Ah ! lorsque j’ai reconnu sa voix, lorsque, dans l’ombre du confessionnal, j’ai entrevu sa figure angélique, mon cœur a tressailli d’une joie insensée ; puis il s’est brisé !… J’ai tremblé, j’ai pleuré… Ô vous qui lisez au fond des âmes, vous le savez, mon Dieu ! ma première pensée a été de sortir du tribunal de la pénitence ; je ne me sentais plus digne d’y siéger… Mais cette malheureuse enfant, dans son infortune, n’avait que moi pour appui ; elle vous remerciait avec tant d’effusion, ô mon Dieu ! de m’avoir envoyé sur son chemin, que ma résolution a faibli, je suis resté…


… Eh bien, oui, à vous, mon unique et divin maître, je me confesse… Oui, la première fois que j’ai vu cette jeune fille chez Marie-la-Catelle, alors que j’enseignais les enfants dans son école, j’ai été frappé de la beauté d’Hêna Lebrenn, de sa modestie, de sa candeur, de sa grâce ! Marie-la-Catelle, sans le savoir, a rendu plus profonde l’impression que m’avait causée son amie en me parlant souvent de ses vertus, de la bonté, de la loyauté de son caractère. Oui, je le confesse, depuis ce jour, malgré ma raison qui me disait : Un tel amour est insensé ! malgré ma foi qui me disait : Un tel amour est coupable ! cette passion folle, cette passion criminelle a pris chaque jour sur moi un nouvel empire. Ma rencontre d’aujourd’hui, en m’ouvrant sans réserve cette âme ingénue et charmante, a pour