Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/238

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pour obéir à mon père que je suis entré novice dans l’ordre des Augustins ? Tel a été mon premier pas dans la vie religieuse ; et par lassitude, par habitude, par soumission, je devais me consacrer à cette vie stérile et morne ! J’ai fléchi devant la volonté paternelle… Ainsi va le monde !… À mon frère aîné la liberté de choisir une carrière, une épouse ! à lui le patrimoine héréditaire ; à lui les joies de la famille ! à moi la claustration ! à moi les vœux de sujétion, de célibat et de pauvreté !…


… Une fièvre lente me mine, me dévore ; je ne suis plus que l’ombre de moi-même.

L’instruction religieuse que chaque jour je donne à Hêna dans l’ombre du confessionnal est pour moi un supplice ; je suis devenu d’une telle sensibilité nerveuse, que le son si doux de la voix de ma pénitente ébranle jusqu’aux dernières fibres de mon cerveau ; son souffle, qui parfois arrive à mon visage au travers de la grille du confessionnal, fait ruisseler mon front d’une sueur brûlante, bientôt glacée à mes tempes… Je n’ai pas le courage de subir plus longtemps cette torture… je deviendrais fou… Voir, sentir près de moi cette jeune fille, dont la pensée remplit mon âme, et sans cesse me contraindre, veiller sur chacune de mes paroles, sur leur accent, sur les soupirs, sur les larmes que m’arrachent malgré moi ses peines et les miennes, afin de lui cacher jusqu’à l’ombre de mon secret… non, non, ce sacrifice est au-dessus de mes forces, elles sont à bout… La fièvre, l’insomnie, ont usé ma vie ; à peine je peux maintenant me traîner de ma cellule jusqu’à l’église des Augustines… Rappelez-moi donc à vous, ô mon Dieu !… ayez pitié de moi !… miséricorde !… miséricorde !…


… Plus de doute, l’on va contraindre Hêna à prononcer ses vœux. Hier, je me suis rendu au couvent des Augustines afin de