Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/253

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L’artisan se recueillit pendant un moment, et, essuyant les larmes dont son visage était inondé :

— Vous le savez, monsieur, pendant que j’assistais à notre assemblée à Montmartre, ma femme, ma fille et mon fils aîné ont été arrêtés dans notre maison ; l’on voulait aussi m’emprisonner. J’ai dû mon salut à l’attachement de mon beau-frère ; au moment où j’allais sans défiance rentrer chez moi, il m’a prévenu que des archers du guet m’attendaient dans mon logis pour me conduire en prison. Grâce à Joséphin et à vous, j’ai trouvé un refuge, d’abord à Paris, puis ici, cette retraite vous ayant paru offrir plus de sécurité.

— N’acquittais-je pas ainsi une dette de reconnaissance ? Hélas ! qui sait si votre généreuse hospitalité envers Jean Calvin n’a pas été cause de l’incroyable persécution dont vous êtes victime ainsi que votre famille ? Vous ne l’ignorez pas : malgré mes vives instances auprès de la princesse Marguerite, dont le crédit seul m’a jusqu’ici soutenu contre mes ennemis, elle a refusé de tenter aucune démarche en votre faveur depuis que le cardinal Duprat lui a dit : « — Madame, croyez-moi, l’homme à qui vous vous intéressez sans le connaître est l’un des plus forcenés ennemis du roi et de l’Église ; si nous parvenons à mettre la main sur ce Christian Lebrenn, il n’échappera pas à la condamnation qu’il mérite ! » — Or, je vous l’avoue, tant d’acharnement contre vous, laborieux et obscur artisan, me confond.

— De cet acharnement je connais maintenant la cause, monsieur Estienne, et avant de poursuivre notre entretien, je vous dois cette révélation ; elle pourra influer sur les conseils que j’attends de vous.

Christian ouvrit le coffret renfermant ses légendes de famille, que le franc-taupin avait rapporté le matin, y prit un papier, le remit à M. Robert Estienne et lui dit :

— Veuillez lire ceci, monsieur ; les manuscrits auxquels cette note fait allusion sont les chroniques dont je vous ai quelquefois parlé.