Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/282

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nuit, ne sera pas maintenant de longtemps visitée… Tâchons d’arracher mon beau-frère à la mort… et après, je le jure par son sang, dont mes mains sont humides ! tu seras vengée, ô ma sœur !… et vengée aussi sera ta fille… dont je prévois l’horrible sort !…

L’espérance du franc-taupin ne fut pas trompée ; Michel et sa femme consentirent à recevoir et à cacher le blessé dans la maison de Robert Estienne. Celui-ci, ainsi que le pasteur, avait été emmené prisonnier à Paris par les archers.


Le 21 janvier 1535, quelques semaines après l’arrestation d’Hêna Lebrenn et d’Ernest Rennepont, dans la courtille de maître Robert Estienne, deux cavaliers venaient de traverser le pont de Charenton se dirigeant vers Paris. Maître Raimbaud l’armurier, l’un de ces cavaliers, était un homme dans la maturité de l’âge, d’une figure ouverte et résolue ; sa carrure vigoureuse, son attitude martiale, annonçaient qu’au besoin il saurait se servir rudement des armes qu’il forgeait. Coiffé d’un large chapeau de feutre, il portait une jaque de mailles de fer par-dessus son pourpoint et de grosses bottes de voyage ; un coutelas pendait à son côté ; des pistolets garnissaient ses fontes, et son long manteau brun cachait la croupe de son robuste courtaud. L’autre cavalier, Odelin Lebrenn, atteignait alors sa quinzième année ; ses traits ingénus et charmants, légèrement hâlés par le soleil d’Italie, rappelaient ceux de sa sœur Hêna. Une toque noire ornée d’une petite plume rouge placée un peu de côté sur les cheveux blonds du jouvenceau découvrait complètement sa riante figure, de plus en plus épanouie à mesure qu’il approchait du terme de son voyage. L’apprenti et son patron gravissaient alors une côte rapide au pas de leurs chevaux ; celui d’Odelin, malgré la pente de la montée, prenait parfois le trot, sournoisement hâté dans sa marche par l’éperon de l’adolescent. Maître Raimbaud souriait dans sa barbe grise, devinant la cause de l’impatience d’Odelin, mais maintenait