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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/42

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frappé de son intelligence, lui proposa de le suivre à Paris et de lui faciliter les moyens de devenir artisan d’imprimerie ; notre aïeul accepta et réussit au mieux dans sa nouvelle carrière. Il se maria vers 1465 et mourut en 1471, laissant un fils, Mélar Lebrenn (né en 1466), qui fut mon père. Il travailla longtemps aussi dans l’imprimerie de Jean Saurin ; mais après la mort de celui-ci, mon père, qui s’était marié (en 1495) et avait un fils (moi, Christian, né en 1496) et deux filles, nées durant les années suivantes, fut congédié par le successeur de Jean Saurin, nommé Noël Compaing. Cet homme, forcené catholique, irrité de ce qu’il appelait l’incrédulité de mon père, le poursuivit d’odieuses calomnies, le signalant aux autres membres de la corporation des imprimeurs comme un artisan inhabile dans sa profession et comme un homme sans probité ; mon père, sous le coup de ces accusations mensongères, vit peu à peu le travail lui manquer ; ses épargnes suffirent d’abord aux besoins de sa femme et de ses enfants ; mais repoussé de tous ceux qui auraient pu l’occuper, ses ressources s’épuisèrent, il ne possédait plus rien au monde, sinon les légendes et les reliques de notre famille. Il tenta, dans son désespoir, une dernière chance de salut ; il connaissait de renom maître Henri Estienne, le plus célèbre imprimeur du siècle passé ; l’on vantait sa bonté à l’égal de son savoir ; mon père résolut de s’adresser à lui, le trouva, ainsi qu’il s’y attendait, rempli de préventions à son égard par suite des odieux propos de maître Compaing ; après avoir exposé les causes de la haine de ce méchant homme, mon père offrit à Henri Estienne de le mettre à l’essai comme artisan d’imprimerie ; son offre acceptée, il fit montre d’une telle habileté, soit comme compositeur, soit comme correcteur d’épreuves, que maître Henri Estienne, reconnaissant la fausseté des accusations portées contre mon père en ce qui touchait la pratique de sa profession, le jugea également calomnié en ce qui touchait sa probité, s’intéressa d’autant plus à lui qu’il le savait victime d’indignes calomnies, lui confia divers travaux, et bientôt l’affectionna singulièrement, non moins pour son