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parmi les autres une grande frayeur, et ils se disaient : Comment ! il nous fait mourir sans aucun procès. » (P. 218.)

En effet, vous le voyez, chers lecteurs, il est impossible d’expédier plus lestement les gens. Le maréchal de Montluc, en sa qualité d’homme de guerre, regardait la procédure comme une déplaisante superfluité. — Frappe, vilain, disait-il à son bourreau : l’homme tombait… C’était bref, net et concluant.

« … Après avoir en un jour pendu ou mis sur la roue trente à quarante de ces huguenots, — dit plus loin M. de Montluc, — nous allâmes à Cahors, où les juges réformés faisaient le procès à un catholique, M. de Viole. (Ce catholique avait commis un méfait, on le détenait en prison, afin d’instruire régulièrement son procès. Montluc arrive, se présente au tribunal et, s’adressant aux jurés, il leur défend en ces termes de continuer le procès :)

« Le premier qui ouvre la bouche, je le tue, s’il ne me rend raison de ce que je viens demander. — L’un des juges voulant repartir : — Tu déclareras devant moi ce que je demande (l’innocence de l’accusé), ou je te pendrai de mes mains, car j’en ai pendu une vingtaine de plus gens de bien que toi. — Sur quoi, je tirai à demi mon épée. Je les eusse bien empêché de rendre sentence, ni arrêt, s’ils m’eussent osé désobéir. » (P. 220-221.)

Il va de soi que l’accusé catholique fut mis en liberté. Voici maintenant quelques faits et gestes de guerre de M. de Montluc. Il avait battu une compagnie de huguenots. Nous citons :

« … Ces gens se jetaient dans les taillis et dans les fossés, le ventre à terre ; mes bandouillers les cherchaient par le bois et les tiraient comme quand on tire au gibier ; nous étions si peu, que nous ne pouvions tuer tout, car de prisonniers on n’en parlait pas en ce temps-là. (P. 232.) Nous logeâmes une nuit à Sauveterre, où je pris quinze ou seize huguenots, lesquels je fis tous pendre, sans dépenser papier ni encre, et sans les vouloir écouter, car ces gens-là parlent d’or. » (P. 233.)

Montluc assiège la place forte de Montségur. Les huguenots résistent ; puis, écrasés par le nombre, ils tâchent de fuir. Nous citons toujours :

« … Alors, je pris quatre-vingts ou cent soldats, et m’en allai autour des murailles, autant sautait par dessus, cela était tué. La tuerie dura jusques à dix heures ou plus, parce que on cherchait les huguenots dans les maisons où on les tuait ; on n’en fit prisonniers que quinze à vingt, lesquels je fis pendre, et entre autres, tous les consuls de la ville, avec leur chaperon sur le cou. Le capitaine qui commandait là se nommait le capitaine Héraud, brave soldat s’il y en avait en Guyenne ; il avait été de ma compagnie ; beaucoup des miens le voulaient sauver pour sa vaillance ; mais je dis que, s’il réchappait, il nous ferait tête à chaque village ; et que je connaissais bien sa valeur… Voilà pourquoi je le fis pendre. Il pensait toujours être sauvé, pour ce qu’il était vaillant ; mais cela le fit plutôt mourir… » (P. 257-238.)

Et plus loin, nous lisons encore :

« … J’envoyai ma compagnie à Terraube, pour faire tuer tous ceux qui étaient là, et lui baillai le bourreau pour faire pendre le chef de ces huguenots, et après qu’ils furent tous tués (au nombre de deux cent trente) on les jeta dans un puits fort profond, et il s’en remplit tout, de sorte qu’on les pouvait toucher avec la main, ce fut une très-belle tuerie de très-mauvais garçons ; mes soldats m’amenèrent les deux Begotte et deux autres de bonne maison, lesquels je fis pendre à un noyer à la vue de la ville, et sans l’honneur que je portais à la mémoire de feu M. Daussun, ses neveux, que l’on m’a amenés aussi, eussent été pendus comme les autres ; ils en furent à deux doigts près, car j’ordonnai de les dépêcher ; mais je ne sais comment je changeai d’avis. » (P. 217.)

« … Après la prise de Mont-de-Marsan, M. de Savignac, le capitaine Fabien et quelques autres, vinrent me dire que les huguenots du château voulaient se rendre et capituler avec moi ; je voyais que M. de Savignac et le capitaine Fabien voulaient fort sauver Favas (il commandait les huguenots qui voulaient capituler), parce qu’il était bon soldat. Je leur dis qu’ils allassent capituler comme bon leur semblerait, et que je signerais leur capitulation, quoique j’eusse bonne envie de faire là une tuerie ; aussi, lorsqu’ils se furent départis de moi, j’envoyai après eux un gentilhomme pour aller dire à quelques capitaines et à leurs soldats, que pendant qu’on parlementerait, ils tuassent tout… et comme mon gentilhomme eut parlé à ces capitaines, leurs soldats coururent chercher quelques échelles, les dressèrent au coin de la basse-cour à main gauche, près des galeries, et pendant que les autres parlementaient à la porte, ils tuèrent tout ce qui se trouvait là-dedans, sauf le capitaine Favas qui parlementait, et qui fut sauvé par M. de Savignac et le capitaine Fabien, qui, voyant le massacre, l’attirèrent à eux, ce qui fut bon pour lui, car il aurait eu le sort des autres huguenots. » (P. 215-226.)

Au siège de Navarreins, la ville est emportée d’assaut, le maréchal de Montluc avait été blessé à l’attaque :

« … Madaillan, mon lieutenant, vient me dire : — Monsieur, réjouissez-vous, prenez courage, la ville est à nous, voilà les soldats qui tuent tout ; soyez assuré que votre blessure sera vengée. —