Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de M. Robert Estienne ; notre fils s’occupait ordinairement de cette tâche avec autant d’exactitude que de célérité ; maintenant ses absences de l’atelier se prolongent outre mesure, deviennent fréquentes, enfin il n’accomplit pas ou accomplit mal ces travaux de collation dont il prétexte. M. Robert Estienne s’est plaint à moi amicalement, me disant qu’il fallait paternellement surveiller Hervé, qu’il touchait à sa dix-huitième année, qu’il pouvait nouer de mauvaises relations et nous causer plus tard quelques soucis.

— À ce propos, mon ami, je reprochais, il y a peu de jours, à Hervé l’éloignement qu’il montre pour ses amis d’enfance, bons et braves jeunes gens cependant ! Il fuit leur société, repousse leurs avances cordiales. La seule personne qu’il fréquente intimement et avec qui souvent il sort les jours de fête est fra‑Girard le cordelier, le fils de notre voisin le mercier.

— Je préférerais, pour notre fils, une autre compagnie, non que j’accuse fra‑Girard d’être vicieux comme tant d’autres moines, on le dit de mœurs austères ; mais plus âgé qu’Hervé, il a, je le crains, pris sur lui beaucoup d’influence, et l’a rendu d’une farouche intolérance. Beaucoup d’artisans de l’imprimerie de M. Estienne sont comme lui partisans de la réforme ; les uns ouvertement, malgré le péril ; les autres, tacitement. Notre fils, plus d’une fois, s’est élevé avec une violence inouïe contre les idées nouvelles ; il sait pourtant que toi et moi nous les partageons, en cela qu’elles rompent ouvertement avec l’Église de Rome, car j’ai conservé la croyance druidique de nos pères à l’éternité de la vie, âme et corps…

— Hélas ! mon ami, quelle femme, quelle mère, ne partagerait pas la pensée des réformés, lorsqu’ils repoussent la confession ? N’avons-nous pas été obligés d’engager notre fille à ne plus aller se confesser… Ah ! sans sa chaste ignorance, elle eût été corrompue par les honteuses questions qu’un prêtre osait lui adresser et qu’elle nous rapportait dans la candeur de son âme… Mais pour en revenir à Hervé, si, d’un côté, son intimité avec fra-Girard me semble, ainsi