Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/63

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monde ! Mais enfin… ce n’est qu’un soupçon ; n’exagérons rien, ne nous laissons pas abattre, approfondissons les faits, rappelons soigneusement nos souvenirs ; peut-être arriverons-nous… que Dieu m’entende !… à reconnaître que ces soupçons ne sont pas fondés. Je te le disais tout à l’heure, de grands changements se sont manifestés dans les habitudes, dans le caractère d’Hervé. Tu les as remarqués comme moi ?

— Oui, depuis quelque temps, lui, jadis si gai, si ouvert, si affectueux, devient glacial et sombre, rêveur et taciturne ; il a pâli, maigri, il s’irrite d’un mot. Peu de temps avant le départ de notre petit Odelin, il avait plusieurs fois, et sans cause, rudoyé ce pauvre enfant, pour qui jusqu’alors il s’était montré plein de tendresse… et souvent, depuis cette époque, j’ai aussi reproché à Hervé ses brusqueries, je dirais presque ses duretés envers sa sœur, qu’il chérissait ; il semble maintenant l’éviter ; sa conduite envers elle est parfois inexplicable. Tiens… hier encore, lorsque toi et lui vous êtes rentrés de l’imprimerie, Hêna, après t’avoir embrassé selon sa coutume, a présenté son front à son frère… il l’a repoussée brutalement. Cette chère fille avait les larmes aux yeux.

— Ce fait m’a échappé ; mais, comme toi, je suis frappé de la froideur croissante d’Hervé pour sa sœur.

— Cependant, mon ami, nous aimons nos enfants d’un amour égal ; Hervé pourrait se trouver blessé si nous montrions quelque préférence pour Hêna ou pour Odelin ; mais nous ne leur témoignons aucune préférence au détriment de leur frère.

— Sans doute ; aussi faut-il, je crois, chercher ailleurs la cause des changements dont nous nous affligeons ; peut-être a-t-il, à notre insu, de mauvaises relations… J’ai été frappé d’un fait : l’amour paternel ne m’aveugle pas, je reconnais à Hervé de grandes aptitudes, sans parler du don d’une éloquence naturelle singulière à son âge, il est devenu excellent latiniste ; aussi est-il parfois chargé d’aller collationner des manuscrits précieux chez quelques érudits, amis