Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/71

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d’autres sphères, nous élevant ainsi successivement, à chacune des phases de notre existence éternelle, vers une perfection infinie comme celle du Créateur.

— Ceci, mon père, n’a aucun rapport avec le dogme catholique.

— Soit, je ne t’impose pas cette croyance ; tout homme est libre de chercher dans ses aspirations religieuses l’idéal des rapports entre le Créateur et la créature ; cette liberté est le plus bel attribut, le plus beau droit de la conscience humaine.

— Il n’existe au monde que la religion catholique, la religion révélée, — reprit Hervé d’une voix tranchante ; — et, sous peine d’hérésie, l’on doit…

— Mon ami, — dit Christian en interrompant son fils, — je ne veux pas engager avec toi une discussion théologique… Je jetais, avant de te parler du présent, un regard sur le passé. Je le déclare à ta louange, ce passé a été selon le désir de notre cœur ; ta mère et moi n’avons eu que des éloges à te donner. Loyal, aimant, laborieux, docile, t’efforçant de plaire à chacun et y réussissant par l’aménité de ton caractère, tel tu t’es toujours montré à nous ; tel tu étais, tel tu es encore, je ne voudrais pas en douter… Je ne te parlerai pas de ton intelligence remarquable, de ta rare aptitude à apprendre ce que l’on t’enseigne, de ta facilité à exprimer ta pensée en termes choisis, souvent éloquents ; ces dons naturels, développés par l’instruction, tu les possèdes toujours, malgré le changement très-notable survenu en toi, et dont ta mère et moi nous nous inquiétons beaucoup, quoique nous t’en parlions aujourd’hui pour la première fois.

— Quel changement, mon père ?

— Depuis quelque temps, tu as perdu ta gaieté, tu sembles te défier de nous, tu deviens de plus en plus concentré, taciturne ; tes absences de l’imprimerie sont souvent prolongées hors de toute mesure ; ton caractère, jadis si avenant, si facile, se montre irritable, aigri, à ce point qu’avant son départ pour Milan, tu rudoyais souvent ton jeune frère Odelin, et que tu t’es montré de plus en plus brusque,