Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/93

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rige lui-même les épreuves des livres grecs, latins ou hébreux imprimés par lui, mais en outre il affiche ces épreuves à sa porte pendant un certain laps de temps, promettant une récompense à ceux qui lui signaleraient quelque incorrection. Parmi les plus beaux ouvrages publiés par maître Robert Estienne, l’on remarque une Bible et un Nouveau Testament traduits en français, objets de l’admiration des savants et de l’appréhension de la Sorbonne et du clergé, aussi inquiets que courroucés de voir se populariser, par l’imprimerie, la connaissance textuelle des livres saints, qui condamnent absolument une foule d’abus, d’idolâtries, d’exactions, introduits depuis des siècles dans le culte catholique par l’Église de Rome. Robert Estienne avait épousé depuis quelques années Perrine Bade, jeune et belle personne, fille d’un savant imprimeur et très-versée elle-même dans la connaissance du latin. La maison de Robert Estienne offrait le noble exemple de ces familles bourgeoises dont les mœurs pures, les mâles vertus domestiques, contrastent avec la corruption presque générale de ce temps-ci. Accusé d’être partisan de la réforme et ayant déchaîné contre lui la Sorbonne et le parlement, surtout attachés par les honteux liens d’intérêt personnel à la cause catholique, Robert Estienne eût été déjà traîné au bûcher comme hérétique, sans la puissante protection de la princesse Marguerite de Valois, sœur de François Ier, femme lettrée, d’un esprit hardi, d’un généreux caractère, et qui favorisait la réforme ; le roi lui-même, aimant les arts et les lettres, beaucoup plus par orgueilleuse imitation des princes d’Italie que par élévation d’esprit, protégeait Robert Estienne, voyant en lui un homme illustre dont la gloire rejaillirait sur le prince son Mécène ! Le rare savoir, le talent, et surtout les biens considérables qu’il devait à son patrimoine et à ses travaux, avaient suscité au célèbre imprimeur des ennemis nombreux, acharnés ; ses confrères, jaloux de l’inimitable perfection de ses œuvres ; les membres de la Sorbonne, du parlement, ou les courtisans, auxquels le roi et son âme damnée, le cardinal chancelier Duprat, distribuaient les biens