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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/94

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confisqués aux hérétiques, avaient mainte fois espéré de s’enrichir des dépouilles de Robert Estienne. Mais ses adversaires, grâce à l’influence de la princesse Marguerite, étaient jusqu’alors demeurés impuissants contre lui ; cependant, sachant combien la faveur royale est capricieuse et précaire, il s’attendait à tout avec la sérénité du sage et la conscience de l’homme de bien, soutenu dans sa lutte contre les méchants par l’affection et les courageux sentiments de sa jeune femme.

Les ateliers d’imprimerie de maître Robert Estienne occupaient le rez-de-chaussée de sa maison ; ses artisans, soigneusement choisis par lui, presque tous fils d’ouvriers employés par son père, méritaient sa confiance. Plusieurs fois ils avaient dû repousser par les armes des bandits fanatiques soulevés à la voix des moines, qui signalaient l’imprimerie comme une officine d’inventions diaboliques bonne à démolir et à brûler ; le populaire, ignorant et crédule, se rua sur la maison de Robert Estienne, et sans le courage de ses défenseurs, elle eût été mise à sac. D’ailleurs, chaque patron est maintenant obligé de se créer une sorte de garde personnelle composée de ses ouvriers ; le fameux orfèvre Benvenuto Cellini, appelé de Florence par François Ier, redoute tellement la jalousie des artistes français et italiens, qu’il ne sort jamais qu’accompagné de plusieurs de ses élèves armés jusqu’aux dents. Naguère encore, il a subi un véritable siège dans le petit château de Nesle, dont le roi l’a gratifié ; les arquebusades ont duré deux jours, force est restée à Benvenuto et à la garnison de sa demeure ; François Ier a beaucoup ri de l’aventure. Tel est l’ordre qui règne dans la cité, telle est la sécurité dont jouissent les citoyens en nos tristes temps !

L’imprimerie de Robert Estienne ressemblait autant à un arsenal qu’à une imprimerie ; des piques, des arbalètes, des épées, étaient placées près des presses, des casiers ou des tables de marbre. Christian, quoique la nuit fût venue, restait ce soir-là dans l’atelier, il y attendait maître Robert Estienne, d’après l’invitation de ce der-