Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/107

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Vengeurs d’Israël, les courroucent ; ils voient en elle l’une de ces attrayantes prostituées complices des infamies sans nom de Catherine de Médicis !… L’arrivée de la captive suspend le supplice du moine ; il reste étendu garrotté aux pieds de Joséphin… Celui-ci se relève, jette sur Anna-Bell un long et farouche regard ; puis il tressaille, cache son visage entre ses mains et pleure… oui, il pleure, cet homme inexorable… Hélas ! les traits de cette jeune fille offraient une vague ressemblance avec ceux d’Hêna… Il reste ainsi durant quelques moments abîmé dans de navrantes pensées, au milieu du profond silence des Vengeurs d’Israël ; la fille d’honneur est glacée d’effroi, elle a reconnu à l’emplâtre qui couvre à demi son visage ce terrible Borgne dont la férocité jette l’épouvante parmi les catholiques, et elle voit garrotté non loin de lui un moine blême comme un cadavre et murmurant d’un air égaré cette invocation lugubre des agonisants : — Miserere mei… Domine, miserere ! … — La terreur d’Anna-Bell est à son comble ; en vain ses yeux éplorés, suppliants, se lèvent sur les Vengeurs d’Israël, ils restent muets, menaçants. Le franc-taupin passe le revers de sa main décharnée sur son œil ardent et cave, dont l’éclat féroce semble augmenté par la larme qui vient de le baigner ; puis, s’adressant durement à Anna-Bell : — Tu es fille d’honneur de la reine ?

anna-bell, d’une voix tremblante. — Oui, monsieur.

le franc-taupin. — D’où viens-tu ?

anna-bell. — De Meilleret. Fatiguée du voyage, je m’étais reposée dans cette petite ville ; de là, j’ai continué ma route, afin d’aller rejoindre la reine… Mon guide s’est égaré, vos cavaliers ont arrêté ma litière… Je vous en supplie, monsieur, ayez pitié de moi… faites-moi conduire le plus tôt possible près de monseigneur le prince de Gerolstein…

le franc-taupin, surpris. — Tu le connais ?

anna-bell. — L’an passé, je l’ai vu à la cour de France… J’ose compter sur sa courtoisie… il me gardera en otage, et…