Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/174

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profonde, reconnaître ma sœur Anna-Bell… mais cette vision disparut au milieu de la fumée des pistolades et du choc terrible de cette masse de cavaliers s’abordant le pistolet au poing et échangeant une première décharge. Soudain, j’entends la voix de mon père me criant :

— Dieu t’envoie, mon enfant ; viens combattre à mes côtés !

— Mon père, — lui dis-je en rangeant mon cheval près du sien, car il se trouvait à la droite et à l’extrémité d’une ligne de cavaliers volontaires rochelois qui suivaient les reîtres à cette charge, — mon père, cette nuit, lorsque vous m’avez quitté, avez-vous revu ma sœur ?

— Hélas ! non ; mais j’ai trouvé une lettre d’elle, et…

Mon père n’acheva pas ces paroles. Deux régiments d’arquebusiers à cheval, sous le commandement du comte Neroweg de Plouernel (frère aîné du colonel), venaient nous charger afin de nous isoler des reîtres ; cette manœuvre réussit. L’impétuosité de l’attaque jette le désordre dans nos rangs, l’ennemi les rompt ; nous ne pouvons plus combattre en ligne. La mêlée s’engage, on combat homme à homme ; je parviens, malgré ce grand désarroi, à rester près de mon père. La fatalité nous pousse, lui et moi, en face du comte Neroweg de Plouernel ; à ses côtés chevauchait son fils Odet, adolescent de seize ans, l’un des favoris du duc d’Anjou. J’entendis le comte s’écrier :

— Courage, mon fils ; montrez-vous digne du sang des Neroweg !

Presque aussitôt je vois le comte se dresser sur ses arçons, son épée va frapper mon père, lorsque celui-ci, d’une pistolade tirée à bout portant, casse l’épaule de Neroweg de Plouernel. Il laisse tomber son épée, pousse un grand cri ; son fils Odet dirige sa légère arquebuse sur mon père, qui remettait son pistolet dans ses fontes. J’enlève mon cheval de deux coups d’éperons, il s’élance et, d’un bond, heurte poitrail contre poitrail le courtaud d’Odet de Plouernel, à qui j’assène, à l’instant où il décharge son arquebuse sur mon père, un si furieux coup d’un sabre excellent forgé par moi, que j’ouvre le casque