Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/200

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coûter quelque chose de recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais point, quoique ce soit ce que l’homme doive avoir de plus cher, que de reprendre ses droits naturels et, à bien dire, de bête redevenir homme.

» Mais non, je ne demande pas au peuple une si grande hardiesse… Quoi ! si pour avoir la liberté, il ne lui faut que la désirer ? s’il n’a besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il nation au monde qui l’estime trop chère, la pouvant gagner d’un seul souhait ? Et qui hésiterait à recouvrer un bien que l’on devrait racheter au prix de son sang, lequel bien perdu, tous les gens d’honneur doivent estimer la vie déplaisante et la mort salutaire ?

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» ……… Mais non ! plus les tyrans pillent, plus ils exigent, plus ils ruinent, plus ils détruisent ; plus on leur baille, plus on les sert, et d’autant plus ils se fortifient. . . . . . .

» Cependant, si on ne leur donnait rien, si on ne leur obéissait point, et cela sans combattre, sans frapper, ils demeureraient nus, défaits, ne seraient plus rien ; de même que la racine, n’ayant plus d’humeur et aliment, devient une branche sèche et morte. » (Pages 3 à 5.)

— Voyre ! — reprit le franc-taupin, — le livre a raison, toujours raison !… Il est des hommes ânes et des hommes lions. Dit-on à l’âne : « Rugis, bondis, mords, déchire ton ennemi ? » Point ; on lui dit : « Âne tu es, âne tu seras, reste âne !… L’on n’attend pas même de toi que tu t’élèves à l’héroïsme césarien de la ruade ! non, bête pacifique ! seulement demeure coi, immobile, têtu, et ne va point au moulin !… » Et de vrai, mes amis, que pourraient faire les meuniers et leurs garçons si, malgré leurs gourdins, des millions d’ânes, se donnant le mot, refusaient net de marcher ? On les rouerait de coups ? voyre ! leur épargne-t-on les coups lorsqu’ils marchent ? Battu pour battu, autant rester coi et ruiner le meunier… Oui, — ajoute le franc-taupin, dont les traits s’assombrissent, — mais com-