Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/201

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ment ce malheureux peuple pourrait-il seulement concevoir la pensée de cette résistance inerte ? Est-ce que les moines ne lui moinaudent pas depuis le berceau jusqu’à la tombe : « — Va, bête de somme, lèche les mains qui te fouaillent… bénis le fardeau qui t’écrase et met ton échine à vif… ton salut est au prix de tes tourments… À nous ton large dos ; nous t’enfourchons pour te conduire au paradis  ! » — Enfin, — ajoute le franc-taupin, — veut-on arracher ces malheureux hébétés aux griffes de la moinauderie ? Vite et tôt ! prison, coutelas, bûcher, torture !… Et ma sœur Brigitte est morte en prison ! et sa fille a été brûlée vive ! et Christian est mort de chagrin ! et Odelin, son fils, a été égorgé par son frère… Hervé le cordelier !…

Ces paroles, qui rappelaient tant de pertes douloureuses à la famille Lebrenn, furent suivies d’un morne silence ; des larmes coulent sur les joues de Marcienne, veuve d’Odelin, le mouvement de son rouet s’arrête, elle incline sa tête sur sa poitrine et dit :

— Mon deuil sera comme ma douleur… éternel !… Ah ! mes enfants, deux places resteront toujours vides à notre foyer… celle de votre père, celle de votre sœur… Hélas ! elle a pu douter de notre indulgence… de notre tendresse !…

— Malheur à nous ! — dit Barbot-le-Chaudronnier en soupirant. — Ma pauvre femme n’a pu résister au chagrin ; elle s’est jusqu’à la mort reproché l’enlèvement de sa filleule !…

— Ah ! ma mère, — reprend Thérèse Rennepont en essuyant ses larmes, — chaque jour, Antonicq et moi, nous regrettons cruellement l’absence de notre sœur parmi nous… avec quelle sollicitude nous aurions tâché de guérir son pauvre cœur blessé, de la rassurer sur elle-même, de lui prouver par notre affection qu’elle ne l’avait jamais déméritée… Non, car ainsi que le disait mon pauvre père, elle n’était ni coupable, ni complice du passé… elle en était victime !

— Et les victimes… on les plaint, on les pleure !… — dit Cornélie, les yeux humides. Puis un éclair y brille ; elle ajoute d’une