Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/287

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régulière et juvénile est déjà flétrie par la débauche. Il a quitté son harnais de guerre pour un habit de cour ; ses cheveux sont artistement frisés ; il porte des boucles d’oreilles de pierreries, une fraise à tuyaux goudronnés, un court mantel, des chausses justes, un toquet rehaussé d’une agrafe de rubis, en un mot, l’accoutrement hermaphrodite des mignons du jeune prince. Le marquis vient d’introduire Cornélie dans l’oratoire et lui dit :

— Oui, ma belle parpaillote… tu es ici dans l’oratoire de monseigneur le duc d’Anjou, frère de notre bien-aimé roi Charles IX.

— L’on se croirait dans un palais de fées ! — répond Cornélie, regardant autour d’elle et feignant une admiration naïve. — Oh ! les splendides tentures !… Et cette lampe, monseigneur, est-ce qu’elle est toute d’or ?

— Sang-Dieu ! ma fille, comme tes yeux brillent en parlant d’or !… Quoi d’étonnant ? Vous autres, hérétiques ensabbatés, vous battez monnaie avec nos vases sacrés ; vous maugréez la messe, mais non point le métal des saints ciboires et des calices ! Je gage que tu penses au riche cadeau que tu attends du prince, s’il est satisfait de ta gentillesse ?

— Je crois rêver, monseigneur !… Est-il possible que le prince daigne abaisser les yeux sur une pauvre fille comme moi ?

— Certes, puisque tu es belle à ravir, et, chose inestimable aux yeux de monseigneur, ta beauté est toute virile… Ainsi vêtue, tes cheveux élégamment retroussés, selon mes avis, que tu as docilement suivis, tu ressembles fort à un jeune page… Tu es de ma taille ; et, sang-Dieu ! à en juger par ta résistance enragée contre mes soldats, je n’oserais lutter avec toi. Mais heureusement depuis que ce matin, quittant avec toi notre redoute de Chef de Baie, hélas ! démantelée par ce forcené marin, je t’ai amenée ici en litière, tu me parais enfin apprivoisée !…

— Vous m’avez traitée avec bonté, monseigneur ; vous avez ordonné qu’on pansât ma blessure ; vous avez remplacé mes habits