Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/41

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sère… tu as été très-misérable, tu as beaucoup souffert… c’est bien, le ciel est content… Tu as accompli ta destinée ici-bas… monte en paix là-haut ! »

Mais vint le jour où l’esprit de la réforme pénétra dans quelques provinces… une lueur de vérité éclaira Jacques Bonhomme, depuis tant de générations attaché, dans son hébétement craintif, à la glèbe de la féodalité monacale, voyant cependant d’un œil marri le meilleur de ce qu’il produisait si péniblement aller engraisser la fainéantise des moines. Aussi le vassal de l’Église s’empressa, au nom de la réforme, de s’affranchir d’exactions séculaires ; il éprouva une joie sauvage à ruiner, à dévaster, à piller ces riches couvents bâtis par ses pères ou par lui ; à briser, à profaner ces images de saints et de saintes, ces reliques devant lesquelles il s’était tant de fois agenouillé crédule et fervent, déposant au pied du saint, de la sainte, ou sur la châsse de la relique, quelque argent, gagné au prix de tant de sueurs, afin d’obtenir du ciel, moyennant cette offrande : — la guérison d’une maladie ; — la fécondité de sa femme ; — le terme de la mortalité qui décimait ses troupeaux ; — le recouvrement de la vue, s’il était aveugle ; — de l’ouïe, s’il était sourd ; — de l’usage de ses membres, s’il était infirme. — Presque toujours, il est vrai, malgré l’intercession des saints, des saintes, et l’efficacité des reliques, Jacques Bonhomme restait sourd, s’il était sourd ; aveugle, s’il était aveugle ; la mortalité de son troupeau ne cessait point ; ses récoltes ne s’amélioraient pas. À ces déceptions, les moines répondaient, après avoir emboursé l’argent : « — Malheureux ! ton offrande est vaine parce que tu n’es pas en état de grâce ; c’est ta faute ! c’est ta très-grande faute ! Dis ton meâ culpâ et reviens dimanche avec une nouvelle offrande ! » — Enfin Jacques Bonhomme avait payé comptant, sonnant et trébuchant, du plus clair de sa pauvre épargne, le rachat de l’âme de ses proches gémissant au milieu des flammes du purgatoire, selon l’affirmation des prêtres ; il avait payé la célébration de messes dites pour une cause ou pour une autre ; payé pour le baptême ; payé pour le