Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/48

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— Baissez le ton, monsieur… ne m’obligez pas de vous rappeler que le colonel de Plouernel, votre frère, est l’un des chefs de ces infâmes révoltés qui se dressent en armes contre l’Église et la royauté…

— À moi ce reproche ! lorsque j’ai envoyé mon fils, à peine adolescent, servir à l’armée de M. de Tavannes, auprès de M. le duc d’Anjou ! — s’écria le comte Neroweg de Plouernel avec une farouche amertume. — À moi ce reproche ! lorsqu’à Jarnac ce traître que je renie pour mon frère ! ce misérable, la honte et l’horreur de ma famille ! est tombé sous mes coups ! Ah ! si deux de ses cavaliers ne s’étaient jetés entre nous, je l’achevais !… je retranchais à jamais de notre souche loyale ce rejeton pourri !…

— Monseigneur, — vint dire au cardinal l’un de ses pages, — la reine entre dans la cour du cloître…

Le prélat, laissant le comte Neroweg de Plouernel outré de se voir jeter à la face la félonie d’un frère abhorré, le prélat s’empressa d’aller offrir sa main à la reine afin de l’aider à descendre de la litière. Catherine de Médicis atteignait alors la cinquantième année de son âge et conservait des traces de sa rare beauté ; un léger embonpoint ne nuisait en rien à la majesté de sa taille élevé ; ses épaules, ses bras, ses mains, d’une blancheur éblouissante, eussent, par leur rare perfection, offert un modèle aux statuaires ; ses cheveux, encore noirs, à demi cachés par le bec d’un chaperon de damas, violet comme sa robe traînante, découvraient son front d’airain. Peu de regards pouvaient supporter son regard fixe, impérieux, profond et pénétrant ; la ruse, la perfidie, la cruauté de son sourire insidieux, l’audace, le dédain, l’ironie, empreints sur sa physionomie, donnaient à ce fier visage une expression saisissante Catherine de Médicis, s’appuyant sur le bras du cardinal de Lorraine, entra dans l’abbaye, suivie de ses filles d’honneur.


Les filles d’honneur de Catherine de Médicis se livrent en ces temps-ci, et par son ordre, à un métier infâme ; cette cour, si pro-