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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/79

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Le jésuite, stupéfait, regarde Catherine de Médicis avec une expression de doute et de défiance. Ce regard, elle le comprend et ajoute :

— Les détails vous affriolent ? soyez satisfait. Le lendemain de sa jonction avec l’armée protestante, le duc des Deux-Ponts était empoisonné… Le mot est cru, mon révérend ? mais vous et moi, avons souci des choses et point des mots… Le duc des Deux-Ponts était, dis-je, empoisonné, grâce à un cadeau de vin précieux ; ne fallait-il pas flatter les goûts de cet ivrogne ?… Deux jours après, Dandelot, malade d’une fièvre lente… avalait un prétendu breuvage pharmaceutique… d’un effet non moins certain que le vin offert au duc allemand, et Dandelot mourait en quelques heures… Enfin, à la bataille de Jarnac, récemment gagnée par notre armée, Condé se rend à d’Argence sur sa parole qu’il aura la vie sauve ; nonobstant cette promesse, Montesquiou, capitaine des gardes suisses de mon fils d’Anjou, casse d’un coup de pistolet la tête à M. de Condé, prisonnier. Ce meurtre si opportun a failli rendre mon pauvre enfant fou de joie !… c’était un délire ! À la vue du prince tué, par son ordre, il riait, il dansait, il piétinait ce corps à peine refroidi. Ce n’est pas tout ! Savez-vous de quoi s’est avisé ce drôlet ? Il a, par divertissement, fait placer le cadavre de son cousin de Condé sur une ânesse, la tête battant de ci, les jambes de là, ni plus ni moins qu’un veau. C’est dans ce bel équipage qu’il a renvoyé à l’armée protestante son défunt général, au milieu des huées de nos soldats[1]. — Puis, après une pause, Catherine de Médicis s’écria : — Voilà comme mes enfants traitent leurs parents hérétiques, et le pape prétend que maintenant nous pactisons avec les huguenots, nous qui venons de délivrer la chrétienté de trois de leurs chefs les plus importants !

— Ah ! madame, — s’écrie le jésuite à demi suffoqué par l’admiration. — Ah ! madame ! la parole me manque pour vous exprimer…


  1. De Thou, Hist., LXXXV, p. 129.