Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/119

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Berthe tressaillit et d’abord resta muette d’étonnement, tandis que sa tante et l’abbé, devenant tous deux pourpres de confusion et d’anxiété, échangeaient un coup d’œil significatif où se décelait leur extrême embarras. Mademoiselle de Plouernel, un moment interdite, reprit, s’adressant à l’inconnu :

— Et pourquoi, monsieur, me déconseillez-vous ce voyage d’Angleterre ?

— Pourquoi, mademoiselle ?… Pour deux raisons… et…

— Monsieur, — dit froidement l’abbé, interrompant l’étranger, — je vous ferai remarquer premièrement que vous avez commis un inqualifiable abus de confiance… secondement, que vous n’avez point compris un mot de la lettre que vous avez trouvée et que vous vous êtes permis de lire.

— Qu’entends-je… — pensait Berthe, de plus en plus troublée ; — il s’agit de la lettre écrite par l’abbé à mon frère…

— Je vous ferai à mon tour remarquer, monsieur l’abbé, — repartit l’étranger, — premièrement, que lire une lettre décachetée, trouvée sur le pavé d’une place publique, n’est point un abus de confiance… secondement, que, sans me piquer d’un très-grand esprit, j’ai suffisamment d’intellect pour comprendre la valeur des mots ; aussi ai-je conseillé à mademoiselle de ne pas aller en Angleterre…

— Monsieur, — reprit vivement Berthe, cédant soudain à un pénible pressentiment, — je vous le demande en grâce, expliquez-vous clairement…

— Permettez, ma chère enfant, — se hâta d’objecter l’abbé, prévenant la réponse de l’inconnu, — je suis l’auteur de la lettre ; il m’appartient d’en parler sciemment. Je dirai donc à monsieur que la dépêche qu’il a lue est adressée à un envoyé de S. M. Louis XIV auprès de S. M. Charles II, et qu’elle traite d’affaires d’État fort délicates ; or, j’ajouterai qu’à moins d’être le plus extravagant des hommes, ce que je ne suis point, l’on ne correspond, au sujet de pareilles matières, que par chiffres ou par phrases énigmatiques et