Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/125

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« moyennant laquelle (ainsi que l’écrivait ingénument l’abbé Boujaron) ce roi parjure, cupide et dissolu, ne dévoierait point de l’alliance française. » Mademoiselle de Plouernel ne s’étonnait même pas, connaissant les mœurs de ce temps-ci, le caractère de sa tante et de l’abbé, qu’ils eussent allègrement accepté pour elle un pareil rôle, se souvenant d’ailleurs de son récent entretien avec la marquise, entretien dont elle comprenait alors le but, et qui tendait à glorifier les services rendus au roi Louis XIV par « la belle Kéroualle ; » mais mademoiselle de Plouernel se sentait profondément indignée, douloureusement affligée de ce que son frère aîné, le comte Raoul de Plouernel, qu’elle affectionnait encore malgré sa froideur envers elle, eût eu le dessein de la sacrifier outrageusement à ses visées ambitieuses, et surtout de ce qu’il ne parut pas douter de son acquiescement à elle… à elle !… à tant d’opprobre ! Plongée dans un abîme de noires pensées, Berthe gardait un silence morne et prolongé.

La marquise et l’abbé, d’abord atterrés de la découverte de leur étrange diplomatie par un inconnu, et n’espérant plus imposer à mademoiselle de Plouernel malgré l’ingénieuse invention de l’abbé touchant les correspondances énigmatiques, se redressaient en courtisans rompus à toutes les bassesses et reprenaient une hautaine assurance, n’éprouvant d’ailleurs nul remords de leur abominable dessein, la corruption de la cour de Louis XIV dépravant, pervertissant les âmes à ce point qu’elles perdent conscience et connaissance des plus vulgaires notions de l’honneur et du déshonneur ; néanmoins, la ruine d’un projet longtemps caressé contrariait vivement la marquise et l’abbé, tandis que l’inconnu sentait redoubler son intérêt pour cette belle jeune fille, restée si pure au milieu de la dégradation de son entourage.

— Monsieur, — reprit enfin mademoiselle de Plouernel, s’adressant à l’étranger avec un accent de profonde reconnaissance, — je ne puis vous dire combien je vous ai gré de m’avoir assez favorable-