Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/130

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cette maison et si vous étiez reconnue comme Française… Je me permets donc de vous engager instamment, ainsi que mademoiselle de Plouernel et l’abbé, à demeurer aujourd’hui reclus. Enfin, s’il se produisait quelque tumulte sur la place, ne paraissez pas aux fenêtres de ce logis, et Dieu fasse qu’il soit respecté, si les passions populaires sont bientôt déchaînées, ainsi que je le crains… Ai-je besoin d’ajouter, madame, combien il m’est pénible de voir ainsi troubler l’hospitalité que j’ai été si heureux de vous offrir ?

— Mais, monsieur, ce que vous nous apprenez là est effrayant ! — dit la marquise, après avoir écouté M. de Tilly avec une alarme croissante, tandis que l’abbé s’empressait, par précaution, d’aller fermer les fenêtres ouvertes sur le balcon qui donnait sur la place. — Certes, nous professons la plus respectueuse admiration, le plus profond dévouement pour le grand roi notre bien-aimé maître… nonobstant, il serait monstrueux que votre grossier populaire nous confondît dans la haine aveugle et forcenée dont il est possédé expiré notre glorieux souverain.

— Maudit voyage !… Pourquoi sommes-nous tombés dans ce guêpier républicain, dans ce foyer de pestilence hérétique !… — pensait l’abbé, que l’effroi gagnait de plus en plus. Et il reprit tout haut : — Monsieur, nous sommes ici sous la protection du droit des gens… et des femmes… un ministre du Seigneur… ont toujours été sacrés aux yeux des plus enragés…

— Le droit des gens, monsieur l’abbé !… Louis XIV l’a-t-il donc respecté en portant la guerre, le massacre, l’incendie dans nos inoffensives provinces ? nos ministres n’ont-ils pas été suppliciés ? nos filles, nos femmes livrées à la brutalité des soldats de l’armée royale ? Les lettres qui circulent à cette heure dans La Haye racontent, je vous le répète, des atrocités épouvantables… et vous venez invoquer le droit des gens, le respect dû aux femmes et aux prêtres ! — s’écria M. de Tilly, ne pouvant d’abord contenir ses ressentiments. Puis, parvenant à les dominer et s’adressant à la marquise : — Pardon,