Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/167

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prit Salaün Lebrenn, — n’avez-vous pas à confondre ses ennemis ?

— Vivez pour ce peuple plus aveugle qu’ingrat ! Peut-être un jour il vous suppliera de sauver la république ! — dit Nominoë, les yeux baignés de larmes, voyant Jean de Witt accueillir les instances de ses amis avec une muette impatience, trahissant son inébranlable résolution de se rendre auprès de son frère. Aussi M. de Tilly, tentant un dernier effort, s’écrie :

— Voulez-vous donc, non-seulement risquer votre vie, mais aussi celle de Corneille, en allant le rejoindre ? — Et M. de Tilly, répondant à un mouvement de Jean de Witt, ajoute : — Cela est horrible à dire, mais le premier sang que verse le peuple le jette dans une farouche ivresse ! la haine de ces furieux, loin de s’apaiser par votre mort, deviendra telle qu’il sera sans doute impossible de les contenir davantage. Ils forceront les portes de la prison, et votre frère…

— Oh ! assez, mon ami ! — dit Jean de Witt, frémissant et ébranlé par les instances de ses amis. Il semblait hésiter à donner suite à ses projets lorsqu’il vit entrer madame de Witt. Sa figure grave et douce portait l’empreinte de ses angoisses à la suite de la tentative de meurtre dont son mari, tendrement aimé d’elle, avait failli récemment être victime ; madame de Witt ignorait encore la torture infligée à son beau-frère et combien la population était exaspérée contre le parti français.

— Mon ami, — dit-elle à son mari, en lui remettant un papier qu’elle tenait à la main, — l’un des gardiens de la prison vient d’apporter pour vous cette lettre de notre frère Corneille. Elle est très-urgente, a dit cet homme, il attend votre réponse. Il règne, dit-il, quelque émotion dans La Haye, et dans le cas où vous voudriez vous rendre à la châtellenie, il offre de vous y conduire par la ruelle fermée de Borlek et par le passage du Vivier, dont il a la clef. Vous entreriez ensuite par les derrières de la prison. Puisse cette lettre vous annoncer l’heureuse issue de ce procès encore plus insensé qu’il n’est odieux !