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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/169

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vous appellerait en ce moment près de lui ! Non, non ; je dis comme Serdan : on vous tend un piége !

— Monsieur de Witt, — ajouta Salaün Lebrenn, — notre avis est unanime ! Tout tend à prouver qu’un faussaire…

— Et si cette lettre a été dictée véritablement par mon frère ! — s’écria Jean de Witt, interrompant Salaün, — si vous m’avez, Tilly, caché la vérité ? Si, mourant des suites de la torture, Corneille veut mourir entre mes bras ! S’il attend ma présence comme une consolation suprême ? Quoi ! cédant à un doute pusillanime, j’hésiterais devant un devoir sacré ! Non, jamais !

Jean de Witt venait de prononcer ces derniers mots, à la profonde consternation de ses amis, lorsque madame de Witt revint accompagnée de ses deux filles, Agnès et Marie, l’une âgée de treize ans, l’autre de quinze ans ; elles apportaient le manteau et l’épée de leur père. Leurs physionomies candides et riantes offraient un si poignant contraste avec les dangers dont était menacé leur père, que les témoins de cette scène sentirent leurs cœurs navrés :

— Père, — dit Marie, en donnant à Jean de Witt son manteau et l’aidant à l’ajuster, — puisque tu vas voir notre cher oncle dans cette maudite prison dont il va sans doute sortir, dis-lui que bien qu’éloigné, il était toujours ici présent parmi nous, grâce à nos souvenirs.

— Fais mieux encore, père, — dit gaiement Agnès en remettant à son père son épée, — ramène-nous tantôt ce cher oncle. En attendant son retour, tu lui donneras pour moi ce bon baiser…

— Et pour moi celui-là, — ajouta Marie en embrassant à son tour son père.

Jean de Witt, par un effort surhumain, domina son trouble, répondit aux caresses de ses enfants avec une tendre effusion, couvrit de baisers leurs jeunes fronts, en pensant que les craintes de ses amis pouvaient être fondées ; que, peut-être pour la dernière fois il pressait sur son cœur ses filles idolâtrées ; aussi, malgré son empire sur lui-même, une larme roula dans ses yeux. Cette larme fut remar-