Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/174

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la foule ; les terribles ferments d’une haine vengeresse, inexorable, aveugle, firent bouillonner les cœurs les plus froids. L’orfévre acheva ainsi sa lecture au milieu de ces groupes haletants de rage.

« — … L’avarice, jointe à la cruauté, animait le capitaine aussi bien que le soldat ; on pendait les hommes dans la cheminée de leur maison, et on y allumait ensuite le feu, afin que, la fumée des tourbes et la flamme les suffoquant et les brûlant tour à tour, ils fussent contraints de découvrir l’argent qu’ils possédaient. Souvent ils n’en possédaient pas et ils périssaient victimes d’une cupidité barbare ; d’autres soldats dépouillaient de leurs derniers vêtements les femmes et les filles dont ils avaient abusé et les chassaient nues dans la campagne où elles périssaient de faim et de froid. Cependant un officier (rendons-lui justice), trouvant deux demoiselles de haute condition en cet état, eut pitié d’elles, leur donna son manteau et quelque linge qu’il avait, et se rendant à son poste, recommanda ces infortunées à la pitié d’un autre officier ; mais celui-ci, loin d’imiter la générosité de son compatriote, abusa de ces deux jeunes filles, les livra ensuite à ses soldats, qui les ont affreusement mutilées[1]. Leurs cadavres informes ont été retrouvés avant-hier sur la jetée qui mène de Bodegrave à Woerden.

» L’on m’écrit de Nimègue que l’un de ces bourreaux, à qui l’on ne saurait donner le nom de soldat, et qui avait eu la scélératesse de couper le sein d’une femme en couche et de saupoudrer la plaie de poivre, est mort, hier, à Nimègue, dans un affreux délire causé par le remords de son crime. Il croyait voir l’image de cette femme et entendre ses cris douloureux. Un batelier, frère du métayer de mon père, a été cloué par les deux mains au grand mât de sa barque, tandis que, sous les yeux de ce malheureux, les soldats assouvissaient leur brutalité sur sa fille… Que vous dirai-je, les morts ne sont pas même respectés ; deux cadavres que l’on portait en

  1. Nous n’osons, par respect de nos lecteurs, en dire davantage.