Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 12.djvu/210

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Lorsque le cortége nuptial fut proche de la demeure de la fiancée, il s’arrêta. Les conviés descendirent de leurs rustiques chariots ou de leurs maigres chevaux de labour, et se formèrent en cercle. Paskou-le-Long mit pied à terre, confia sa monture à son apprenti qui lui servait de page, et tenant à la main son frais rameau de genêt fleuri, dandinant son long corps avec l’importance d’un personnage sur qui tous les yeux sont fixés, le Baz-valan s’avança seul vers la porte du logis alors fermée. Il y frappa. Elle s’ouvrit, et au seuil parut l’un des parents de Tankerù, un meunier, nommé Madok, malin et jovial garçon, chargé de répondre, en sa qualité de Brotaër (parrain de la fiancée), aux demandes du Baz-valan, messager du fiancé. Paskou-le-Long commença donc sa cantilène sur un rythme lent, sorte de récitatif cadencé[1] :


Au nom du Seigneur Dieu, — paix et bénédiction sur cette maison ; — et joie plus que je n’en ai.

madok le brotaër, avec malice. — Et qu’as-tu donc, ami ? — Comment ton cœur ne serait-il pas joyeux ? — toi qui tant prêtes à rire aux autres, — avec ton long cou, tes longues jambes, — tes longs bras, Paskou-le-Long, mon ami ?

paskou-le-long le baz-valan. — Las ! las ! las ! Madok, mon ami ! — Bien longues sont mes jambes ; — elles n’empêchent point les gens du roi de m’attraper, — de me prendre au collet et de me dire : « Paye, paye, paye, — et paye toujours, et paye encore ! » — Bien longs sont mes bras ! — mais ceux du bailli de notre seigneur, — et ceux du receveur de la cure — sont encore plus longs ! — Si longs ils sont, qu’ils puiseraient au fond de nos poches, — fussent-elles creuses… creuses — comme le puits de Mélusine. — Bien long est mon cou… — et monseigneur le gouverneur de Bretagne — pourrait me l’allonger encore… — mon pauvre long cou ! — Voilà pourquoi, ami, je ne suis point des plus joyeux.

madok le brotaër. — Ah ! que le proverbe a raison ! — qu’il a donc raison, le proverbe, de dire : — Il faut neuf tailleurs pour faire un homme.

paskou-le-long le baz-valan. — Juste autant qu’il faut d’ânes — pour faire un meunier, ami Brotaër, — ou plutôt seigneur du Moulin !

madok le brotaër. — Bien répondu, seigneur de la Couture ! — Et cependant, je le répète : — Quel pauvre neuvième d’homme tu es, par l’inconséquence ! — car te voici tout piteux, tout soucieux, — en parlant de monseigneur… — de monseigneur notre gouverneur. — Oui, ta longue figure se renfrogne, s’allonge encore ; — et cependant, dis-moi, lorsque tu viens à parler — d’un bon gros porc bien gras, — si pansu qu’il peut

  1. La terminaison de chaque vers de ce chant en langue bretonne (ou celtique) est indiquée par un tiret —.