Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/140

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mon régiment en bataille. Je commande feu sur cette masse effarée… Quelques voix s’élèvent dans les rangs, et me répondent : — Nous ne tirons pas sur le peuple ! — J’ordonne de saisir ces mutins et de les fusiller sur place… Les murmures redoublent. Je commande le feu une seconde fois. Bast !… plusieurs de mes soldats me couchent en joue… tandis que des compagnies entières se débandent, mettent leurs crosses en l’air et s’en vont, bras dessus, bras dessous, avec le peuple, qui hurlait à tue-tête : Vivent les gardes-françaises ! J’ai su depuis que ce forcené Gonchon était venu à la caserne de la rue Verte haranguer, corrompre mes soldats…

— Une pareille insubordination est épouvantable ! Tout est perdu, si l’on ne peut plus compter sur l’armée… c’est fait de nous !

— Tout serait perdu, l’abbé, si, en cette extrémité, le parti de la cour n’était résolu de servir le roi malgré lui… Je dis à bon escient malgré lui… Jugez-en. Hier soir, pâle et frémissant de rage, j’ai dû charger mon lieutenant-colonel de ramener au quartier les débris de mon régiment. Ce matin je me rends à Versailles et je dis à Sa Majesté ceci : — « Je supplie le roi de me donner carte blanche ; j’assemble un conseil de guerre, je fais fusiller sur l’heure une centaine de soldats ou de bas-officiers de mon régiment, chefs de la révolte. Cette exécution accomplie, je réponds au roi, quant à l’avenir, de la discipline des gardes-françaises. »

— Rien de plus judicieux, comte ; il fallait frapper de terreur ces mutins, et, au besoin, décimer le régiment… Qu’a répondu Louis XVI ?

— Rien d’abord ; et, selon sa coutume, il s’est gratté le nez d’un air cogitatif, tandis que M. le maréchal de Broglie, présent à l’entretien, me disait : — « Je vous approuve de tous points, cher comte ; seulement, m’est avis que vos gardes-françaises, déjà infectées de l’esprit de révolte, ne se laisseront peut-être point fusiller de bonne grâce. » — Cette expédition sera soudaine et nocturne, — répondis-je au maréchal — je ferai prendre au lit les plus forcenés par