Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/44

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partie de ces fortunes immenses et éphémères dues aux hasards de l’agio. Law, esprit droit et pratique, voyait avec effroi le crédit fictif de sa banque dépasser toutes les limites du raisonnable, du croyable et, si cela se peut dire, du possible ; il avait voulu fonder le crédit public en y intéressant la nation tout entière, substituer comme signe représentatif des échanges le papier-monnaie au numéraire ; mais ces idées, parfaites en elles-mêmes, renfermant le germe d’une révolution économique et prouvant le génie financier de Law, furent complètement faussées, dénaturées par l’avidité du régent et de sa cour. Ce prince faisait fabriquer sans contrôle des masses de papier-monnaie, dont une spéculation effrénée s’emparait, en lui donnant momentanément une valeur fictive si exorbitante, si absurde, que s’il eût fallu rembourser les billets en circulation, la fortune territoriale de la France n’eût pas suffi. Law pensait avec effroi qu’une panique amenant soudain de nombreuses demandes de remboursements impossibles à effectuer, il s’ensuivrait une catastrophe incalculable… Il en devait être ainsi, plusieurs causes amenèrent cette calamité. L’Angleterre voyait avec jalousie ses capitaux émigrer pour s’engouffrer dans la caisse de la banque de la rue Quincampoix. L’abbé Dubois, ministre des affaires étrangères, était vendu au gouvernement anglais ; ses hommes d’État se servent de ce prêtre infâme pour porter le premier coup à la banque ; il fait agir ses créatures ; bientôt une panique invincible s’empare des détenteurs de billets et d’actions. Leur remboursement devient impossible ; en 1720, l’on acquiert la preuve que la banque, sous la pression des besoins insatiables du régent, de ses roués et de ses maîtresses, avait émis pour plus de quatre milliards de billets. Le 10 décembre 1720, c’était fait du système de Law. Une épouvantable détresse suivit l’apparente prospérité des deux années précédentes. Presque toutes les fortunes de France, des plus humbles aux plus considérables, étaient bouleversées ; la ruine publique égala les ruines particulières ; l’or et l’argent disparaissaient, s’enfouissaient devant la circulation d’une masse