Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/104

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pulation ignorait, je vous l’ai dit, fils de Joël, le retrait tardif de cette pétition par les jacobins, comme pouvant donner à l’Assemblée le prétexte d’exécuter ses sinistres desseins). L’on s’étonnait aussi de ne pas voir encore arrivés au sein du peuple, ses orateurs, ces organes : Robespierre, Camille Desmoulins, Danton, Brissot, Marat et d’autres encore qui, depuis plusieurs jours, réclamaient énergiquement la déchéance de Louis XVI, déchéance que cinquante mille personnes venaient à leur tour, pacifiquement, demander aujourd’hui… Mais aucun des amis du peuple, desquels je viens de citer les noms, ne parut dans cette déplorable journée. Cette abstention fut de leur part un tort, un grand tort, qu’ils firent d’ailleurs oublier par leurs nouveaux services (j’ajoute ici, en transcrivant ce passage de mon journal, que les explications données plus tard par ces patriotes ne parurent pas suffisamment innocenter leur absence en des circonstances si graves). La longue et impatiente attente de la population réunie depuis le matin au champ de Mars fut distraite, ici par des chœurs patriotiques, là par des danses, par des rondes d’enfants et de jeunes filles, se livrant à l’allégresse générale, inspirée par celle belle journée dont la foule augurait de si heureux résultats ; plus loin, des orateurs improvisés discutaient chaleureusement la question de déchéance ; ailleurs, grand nombre de familles d’artisans, assises sur l’herbe des talus, prenaient gaiement en commun un modeste repas apporté dans des paniers, et trinquaient : À la nation ! À la déchéance de Veto ! — J’insiste sur ces détails, fils de Joël, afin de caractériser de mon mieux l’attitude paisible, riante, patriarcale de la population, et de faire ainsi ressortir davantage l’horreur de l’exécrable machination qui devait ensanglanter le soir de ce jour d’abord si serein !

Enfin, vers les deux heures de l’après-midi, l’on apprit, de proche en proche, l’arrivée d’une députation de jacobins. Aussitôt les jeux, les chants cessèrent ; la foule, redevenue attentive, recueillie, se presse aux abords de l’autel de la Patrie ; là, l’orateur de la dépu-