Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Assemblée, faisait commencer une lutte sanglante sans autre motif qu’un féroce point d’honneur ou l’espoir d’écraser une insurrection vengeresse de tant de trahisons.

Il en a été ainsi ; il a été prouvé plus tard, par dépositions officielles, qu’un colonel suisse ayant dit au maréchal duc de Mailly, commandant général des troupes des Tuileries : — « Le roi est parti… quels sont les ordres ? — Tenez ferme, » — répondit le maréchal. Ainsi, même après son départ du château, le roi comptait encore vaincre par la force Paris soulevé tout entier.

Aux premiers coups de canon, qui ébranlèrent les vitres de la salle, j’avais les yeux fixés sur Marie-Antoinette. Elle tressaillit, se redressa, son regard brilla d’espoir, et, se penchant vivement vers Louis XVI qui, sa fourchette à la main, s’était interrompu de manger, elle lui dit vivement quelques mots… Mais il l’arrêta soudain du geste, en lui montrant le président placé si près de l’ouverture de la loge, qu’il pouvait entendre les paroles de la reine, paroles sans doute compromettantes.

Les décharges d’artillerie et de mousqueterie, presque sans intermittence, témoignaient de la chaleur de l’action. Il m’est impossible de peindre l’anxiété, l’agitation tumultueuse de la salle et des tribunes ; dans celles-ci, l’exaspération était à son comble ; on éclatait en menaces, en injures contre Veto, contre l’Autrichienne. On les voyait là, en pleine sécurité, dans le sein de l’Assemblée, tandis que, par leurs ordres, coulait inutilement le sang de leurs soldats et celui du peuple. Les représentants, debout ou réunis en groupes, adressaient de tous côtés, en gesticulant au milieu d’un tapage infernal, des interpellations au roi, des motions au président, incapable de saisir un mot distinct parmi cette confusion, ce chaos assourdissant de paroles et de cris, auxquels se joignaient toujours les détonations fréquentes et prolongées de la canonnade. Enfin, le président exténué, haletant, renonçant à l’espoir de se faire entendre, quitte tout à coup le fauteuil, prend sur son bureau une feuille de