Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/168

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papier, une plume, s’approche vivement du grillage de la loge, à travers lequel il remet au roi le papier et la plume, semblant le conjurer d’écrire un ordre sans doute ; la reine s’y oppose d’un geste impérieux et négatif ; le président insiste avec animation, et désignant du regard la salle orageuse, il paraît menacer des colères de l’Assemblée Louis XVI effrayé, mais encore indécis… Cependant il cède, et, malgré les nouvelles instances de Marie-Antoinette, il écrit rapidement quelques mots, les communique au président, puis donne le papier au comte d’Hervilly… Celui-ci va quitter la loge… lorsqu’à un signe de la reine il s’approche ; elle lui dit quelques mots à l’oreille ; il répond d’un air affirmatif et sort précipitamment. L’on a su depuis que cet ordre tardif, pour ainsi dire arraché à Louis XVI, était l’ordre de cesser le feu. Mais d’Hervilly, d’accord avec Marie-Antoinette, devait en donner un contraire et, dans le cas où les troupes royales seraient victorieuses, les ramener sur l’Assemblée, la disperser par la force et délivrer Louis XVI.

Au moment où le major d’Hervilly quitta la loge royale, la canonnade devint si furieuse, sa commotion si violente, que les vitres de plusieurs fenêtres de la salle des séances tombèrent en éclats ; ces retentissements redoublés de l’artillerie, la continuité des feux roulants, de la fusillade annoncent le dernier degré de l’acharnement de la bataille. — Mon fils ! — Mon mari ! — Mon père ! — Mon frère ! — s’écriaient dans les tribunes, autour de moi, des femmes, des jeunes filles, des vieillards éplorés. Chacune de ces exclamations de douleur ou d’angoisse était suivie d’imprécations contre Veto, contre l’Autrichienne, contre la cour, dont les trahisons, les complots incessants avaient forcément amené cette lutte sanglante… Mais bientôt le feu se ralentit ; il devient de moins en moins vif et fréquent, puis l’on n’entend plus que quelques coups de fusil… rares, isolés, lointains… puis, enfin… l’on n’entend plus rien… rien…

Évidemment la victoire, et non une suspension d’armes, terminait la bataille ; le major d’Hervilly eût-il voulu fidèlement accomplir sa