Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/197

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puisse s’enorgueillir l’humanité. Ce sont là des faits irrécusables prouvés à la face du monde. Ces faits, vous et vos descendants, fils de Joël, vous les trouverez consignés dans le Moniteur, cette voix inexorable de l’histoire… Ces faits, les ennemis les plus forcenés de la révolution ne pourront les nier. Hélas ! pourquoi faut-il qu’à si peu de distance les néfastes journées des 2 et 3 septembre (1792) aient offert un si douloureux contraste avec l’immortelle journée du 10 août ! Pourquoi ces sanglantes ténèbres après une victoire d’un éclat si pur, si radieux !

Pourquoi ?… Ah ! c’est que le peuple, laissé à dessein par ses oppresseurs séculaires dans une profonde ignorance, n’a encore pour guide que ses instincts, souvent sublimes, presque toujours droits, et parfois mauvais. Ah ! c’est que le peuple se montre d’autant plus révolté de l’iniquité qu’il a été davantage accessible aux sentiments de justice ou de clémence… C’est que la colère du peuple devient impitoyable lorsqu’il croit, lorsqu’il voit que sa bonne foi a été indignement surprise, ses légitimes espérances trompées ! Lorsqu’il croit, lorsqu’il voit que sa fraternelle générosité envers ses ennemis vaincus tourne contre lui, en assurant leur impunité, en les encourageant à de nouveaux forfaits dont il doit être la première victime. Telle est surtout la cause des journées des 2 et 3 septembre 1792, connue sous le nom du massacre des prisons.

Quelques mots encore, fils de Joël, avant le récit de ces journées, dont, hélas ! ma sœur Victoria a été volontairement témoin, et vous comprendrez ce mystère en apparence inexplicable :

« — Comment le peuple, si généreux le 10 août envers ses ennemis, s’est-il montré implacable les 2 et 3 septembre ? »

Et, d’abord, rappelez-vous ces mots prophétiques de Pétion, maire de la commune de Paris, parlant à la barre de l’Assemblée :

« — Le peuple demande justice de ses ennemis ; il l’attend de vous, législateurs ! Cette légitime attente, ne la trompez pas ; c’est le seul moyen d’arrêter le cours de la vengeance populaire. »