Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en me disant : — À ce soir ; ne sois pas inquiet de moi… si je rentre tard…

Victoria s’enferme à double tour. Elle me laissait d’autant plus alarmé que ses paroles me jetaient dans un vague effrayant. Je frappe en vain à la porte de la chambre de ma sœur, la suppliant de me l’ouvrir et de m’écouter. Elle garde le silence. En ce moment, l’un de mes camarades, artisan comme moi, le fils de notre voisin Jérôme, appartenant aussi à la section des Piques, me dit :

— Jean, n’entends-tu pas le tambour ? On vient de placarder dans les rues que la patrie était en danger. Longwy est pris ! les Prussiens marchent sur Paris. On bat partout le rappel et la générale… viens ! viens !…


Convaincu de l’inutilité de mes instances auprès de Victoria, et craignant de manquer à mon devoir civique en tardant davantage de me rendre à ma section, j’ai quitté notre demeure en proie aux plus noires appréhensions à l’égard des projets de ma sœur. Nous nous sommes, mon camarade et moi, dirigés vers la place Vendôme, lieu de réunion de notre section.

Il m’est impossible de peindre les mille aspects de la foule dont l’angle des rues et les carrefours étaient encombrés, car c’est en ces endroits que l’on affichait de préférence les placards émanés de la presse patriote ou des clubs, les décrets rendus presque d’heure en heure par l’Assemblée nationale en permanence ou par la Commune de Paris, nommée par les sections insurgées dans la nuit du 9 au 10 août.

Comment peindre les aspects, les sentiments si divers de la population ? tantôt, consternée par l’approche d’un grand danger public, elle semblait anéantie ; tantôt elle éclatait en malédictions, en cris de mort contre les royalistes et les despotes étrangers, ou bien, emportée par un élan de patriotisme, elle s’écriait : — Aux frontières ! aux frontières ! — J’ai vu des femmes sangloter en embrassant leurs enfants, j’en ai vu d’autres, plus viriles, demander des armes ; d’au-