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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/227

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— Commençons par lui.

En ce moment, je vous le dis, fils de Joël, j’ai cru ma dernière heure sonnée. J’ai donné ma pensée suprême à la république, à ma sœur, à mademoiselle Desmarais, et je me suis résigné à mourir. Précipité du banc où j’étais monté, la foule en furie m’entoure, me serre, me saisit ; mon uniforme est mis en lambeaux ; déjà le jeune peintre, s’emparant de mon sabre, le dégaine pour me frapper, lorsque plusieurs patriotes de mon quartier (cette scène se passait non loin de ma demeure) s’interposent entre mes adversaires et moi, répondant de mon civisme, prennent courageusement ma défense, m’arrachent aux mains qui m’entraînaient, me font un rempart de leurs corps, et me poussent sous la voûte de la porte-cochère près de laquelle se trouvait le banc où j’étais d’abord monté, puis referment cette porte sur moi. Je tombai brisé, presque défaillant, et bientôt j’entendis la foule se disperser en criant :

— Vive la nation ! — Aux prisons ! aux prisons ! — Mort aux royalistes !

C’en était fait, le massacre allait s’accomplir. J’avais, dans mon humble sphère, employé tout ce que je possédais d’intelligence et de force morale afin de ramener aux principes de l’éternelle justice la foule égarée ; j’avais sciemment risqué ma vie afin de conjurer ce qui me semblait un crime et un malheur pour la révolution ; j’avais accompli mon devoir jusqu’au bout ; ma conscience, du moins, ne me reprochait rien.

Le portier de la maison où je trouvais un asile, maison voisine de ma demeure, je l’ai dit, me donna, ainsi que sa femme, des soins empressés ; tous deux me connaissaient de vue comme enfant du quartier. Je me remis peu à peu, le portier me prêta une carmagnole, afin de remplacer mon uniforme de garde national mis en pièces ; je n’oublierai jamais les quelques mots prononcés par ces bonnes gens, au moment où je les quittais, en les remerciant de leurs bons secours.