Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/23

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œil aussi sec que Cicéron regardait le corps de César percé de vingt-trois coups. »

Enfin Marat, éclairé par l’inconcevable intuition dont il était doué, écrivait avec une exaltation farouche dans l’Ami du Peuple, le lendemain des imposantes funérailles de Mirabeau :

« — Rends grâce aux dieux, peuple ! Ton plus redoutable ennemi n’est plus ! il meurt victime de ses nombreuses trahisons, de la barbare prévoyance de ses complices (longtemps sa mort a été attribuée au poison). La vie de Mirabeau fut souillée de crimes. Qu’un voile désormais en cache le tableau hideux ! Ce récit scandaliserait les vivants, et ton ennemi ne peut plus te nuire, ô peuple ! garde tes larmes pour tes défenseurs intègres. Souviens-toi qu’il ne fronda la cour que pour capter tes suffrages… Tu lui dois les funestes décrets qui t’ont remis sous le joug d’un roi, et rivé tes fers : — Le décret de la loi martiale ; — le décret du veto suspensif (accordé au roi), de l’initiative de la proposition de paix ou de guerre (aussi accordé au roi) ; le décret de l’indépendance des députés ainsi soustraits à la vigilante surveillance du peuple ; — le décret du pouvoir exécutif suprême (la royauté) ; — le décret de la félicitation des assassins de Metz ; — le décret de la permission d’émigrer accordée aux conspirateurs. — Jamais Mirabeau n’éleva la voix en faveur du peuple que dans des circonstances insignifiantes… Quoi ? au Panthéon ? Mirabeau… lui… lui ! au Panthéon ! Quel homme intègre voudra reposer auprès de lui ! Les cendres de Rousseau, de Montesquieu frémiraient de se trouver en compagnie de ce traître ! Et moi, l’Ami du peuple, j’en serais inconsolable ! Ah ! si jamais la liberté s’établissait en France, si jamais quelque législateur, se souvenant de ce que j’ai fait pour la patrie, était tenté de me décerner les honneurs du Panthéon, je proteste ici hautement contre ce sanglant affront ! J’aimerais mieux ne jamais mourir ! »

Étrange prophétie ! Les papiers secrets de Mirabeau, découverts le 10 août 1792, dans l’armoire de fer des Tuileries, ayant révélé