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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/22

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la maladie qui l’emporta, que Duquesnoy, l’un des obscurs agents du comte de Lamarck, confident de la reine et de Louis XVI, et l’entremetteur de l’exécrable marché de Mirabeau, écrit précipitamment à M. de Lamarck :

« Vous avez sûrement déjà senti la très-pressante et très-indispensable nécessité de faire porter chez vous les papiers de notre malheureux ami… De grâce, occupez-vous sans délai de ce soin, et pensez que si nous le perdons, très-certainement un créancier viendra apposer les scellés, et alors on verra tout[1] ! »

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Le 2 avril 1791, Mirabeau mourut. Quelques heures avant d’expirer, il entendit tirer le canon et dit dans son orgueil titanique : — Sont-ce déjà les funérailles d’Achille ? — Ses dernières paroles, où se révèle sa trahison, furent celles-ci : — J’emporte le deuil de la monarchie… ses débris vont être la proie des factieux. — Le peuple, confiant et crédule, ignorant la félonie de son tribun, apprit sa mort avec une consternation profonde. J’ai parcouru Paris ce jour-là, partout le deuil fut immense. On eût dit qu’une calamité publique s’appesantissait sur la France ; l’on s’abordait par ces mots empreints d’un douloureux accablement : — Mirabeau est mort ! — Les larmes coulaient de tous les yeux. La foule éplorée suivit religieusement les cendres du grand orateur qui furent déposées au Panthéon. Deux voix cependant, deux voix prophétiques, s’élevant seules au-dessus de ce concert de regrets civiques, protestèrent contre ce pieux hommage rendu à la mémoire d’un traître :

« — Pour moi, — écrivit Camille Desmoulins dans son journal, — lorsque l’on eut levé le drap mortuaire qui couvrait le corps de Mirabeau, et à la vue d’un homme que j’avais idolâtré, j’avoue que je n’ai pas senti venir une larme… et je l’ai regardé d’un

  1. La correspondance trouvée aux Tuileries dans l’armoire de fer, le 10 août 1792, et la correspondance du comte de Lamarck, publiée de nos jours, prouvent surabondamment la trahison de Mirabeau.