Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/231

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et la France seront sauvées par l’exemple de ce terrible châtiment infligé à nos ennemis éternels. »

Et, cependant, ceux qui pensaient ainsi sympathisaient ou participaient aux actes les plus touchants, les plus héroïques dont j’ai été témoin durant ma station sur la place Vendôme, et entre autres je vous citerai ceux-ci :

J’ai vu entrer sous la tente où les officiers municipaux recevaient les enrôlements, un grand et beau vieillard encore très-robuste, très-alerte ; ses cinq fils l’accompagnaient : le plus jeune semblait avoir au plus dix-huit ans ; l’aîné, âgé d’environ quarante ans, tenait par la main son fils, à peine adolescent et muni d’un léger fusil de chasse. Ces sept personnages, complètement armés, équipés à leurs frais, portaient sur le dos le havre-sac du soldat. Le vieillard s’avance sous la tente et dit à l’un des officiers municipaux :

— Citoyens, je me nomme Mathieu Bernard, je suis maître tanneur, je demeure rue Saint-Victor, no 71, avec mes cinq fils et mon petit-fils ; nous venons, eux et moi, nous enrôler ; nous partons sur-le-champ pour la frontière.

Des cris répétés de : — Vive la nation ! — acclament le civisme de cette famille, et le municipal, les yeux humides de pleurs d’admiration, inscrit avec un religieux respect sur le registre des engagements :

Le citoyen Mathieu Bernard, ses cinq fils et son petit-fils.

— Allons, mes amis, en route, et vive la nation ! — s’écrie le vieillard, sortant de la tente suivi de ses enfants. La femme de ce brave citoyen, sa fille, jeune personne de dix-sept ans, et l’épouse de son fils, les attendaient au dehors. L’on ne lisait sur les visages radieux de ces trois femmes ni crainte, ni regret ; les larmes dont brillaient leurs regards étaient des larmes d’enthousiasme patriotique. L’aïeule, d’une haute stature, avait les cheveux tout blancs et les sourcils encore noirs ; je n’ai, de ma vie, rencontré figure plus imposante que la sienne ; son mâle aspect me rappelait ces vail-