Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/249

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gardes du corps de la fureur populaire, après leur agression contre la garde nationale.

— Eh bien, frère, l’huissier Maillard présidait le tribunal de l’Abbaye.

— Maillard ?

— Oui.

— Lui ! c’est impossible !

— Je l’ai vu, je le jure par la mémoire de notre mère !

— Je te crois, Victoria. Dieu juste ! comment douter de l’irrésistible panique dont toute une population a été saisie, lorsque l’on voit les bons citoyens, eux-mêmes, en proie à ce sanglant vertige ?

— Frère, ce que tu appelles vertige est l’instinct du salut public. Oui, lors des grandes crises de la vie des peuples, ce divin instinct les élève dans ces régions suprêmes où les lois humaines disparaissent devant le but sacré qu’ils poursuivent : le salut de la patrie !

— Et qui donc proclame, qui donc affirme la nécessité de ces mesures impitoyables ? qui donc affirme que la statue de la justice éternelle doit être voilée ?… Hélas ! ce sont des hommes honnêtes, convaincus, je le veux, mais faillibles comme tous les hommes, et que le patriotisme égare.

— Non, frère, non ! ce ne sont pas les hommes toujours faillibles, je le sais, qui affirment la nécessité de ces redoutables mesures de salut public.

— Qui donc les affirme ?

— La patrie !… Son instinct est aussi infaillible que celui de la mère lorsqu’il s’agit de sauver ses enfants.

— Ah ! malheur ! malheur ! c’est à l’aide de ces sophismes pompeux, sonores, entraînants, que les plus exécrables tyrannies peuvent aussi s’imposer, se légitimer au nom du salut public ! C’est en son nom que les vainqueurs d’hier frapperont aujourd’hui les vaincus, et qu’ils seront frappés à leur tour par les vainqueurs de demain !