Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/251

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Tels sont les principaux faits à ma charge ; quant aux autres, je possède ici des papiers qui me permettront heureusement, citoyens, de vous démontrer mon innocence. » — Et Saint-Méard tire d’un portefeuille plusieurs pièces ; elles sont soigneusement examinées, pesées ; des témoins, que le hasard amenait là, sont entendus pour et contre l’accusé ; sa défense, très-développée, dure, certes, plus d’une demi-heure, et il la termine en ces termes : « — Je regrette l’ancien régime, mais je n’ai jamais conspiré contre le nouveau ; je n’ai jamais émigré ; j’ai toujours regardé comme un crime l’appel aux armées étrangères. J’espère vous avoir prouvé, citoyens, mon innocence, et que vous me rendrez la liberté, à laquelle je tiens beaucoup par principe et par nature. » — Les jurés se consultent à voix basse ; et, au bout de quelques instants, Maillard se lève, se découvre, et dit d’une voix haute : « — Accusé, vous êtes libre. » Puis, s’adressant à trois patriotes armés de piques et de sabres ensanglantés, Maillard ajoute : « — Veillez sur la sûreté du citoyen ; reconduisez-le jusqu’à son domicile. » — Alors, mon frère, se passe l’une de ces scènes dont j’ai été si profondément émue, et qui, je te le répète, prouvent que juges et justiciers étaient cent fois plus heureux de trouver un innocent que de frapper un coupable ; car, à peine l’ordre de mise en liberté du prévenu est-il donné, que ces hommes aux bras sanglants enlacent Saint-Méard, l’entraînent au milieu des transports d’une joie folle, délirante, et sortent avec lui par la porte de la cour en s’écriant : — « Un innocent, citoyens ! un innocent ! » — Les justiciers du dehors, qui venaient d’immoler des coupables, partagent cette joie et répètent en brandissant leurs sabres, leurs piques, leurs massues dégouttant de sang : — « Un innocent ! vive la nation !… Chapeau bas devant l’innocent !… Vive la nation ! » — Et chacun d’eux serrait les mains de Saint-Méard, l’embrassait avec effusion, en trébuchant sur les cadavres étendus à leurs pieds.

— Ah ! — me suis-je écrié, éprouvant un mélange d’attendrisse-