Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/252

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ment et d’horreur, — le cœur de l’homme est un abîme, un abîme… et la raison s’y perd en le voulant sonder ! !

— C’est ainsi, — poursuit Victoria, — qu’après interrogatoire et libre défense, j’ai vu mettre en liberté, au milieu des mêmes transports de joie, Bertrand de Moleville, frère d’un ministre ; Malon de la Varenne, homme de loi ; l’abbé Salomon Duveyrier ; le comte d’Afry, colonel d’un des régiments suisses, après preuve faite par lui de son absence de Paris lors du 10 août ; l’abbé Sicard, le digne instructeur des sourds-muets, menacé de périr avec les autres prêtres lors de l’envahissement de la prison, a été délivré et entouré des plus touchantes bénédictions lorsque son nom a été connu ; enfin, et c’est pour cela que je suis rentrée si tard, j’ai contribué à mettre en sûreté la marquise de Tourzel, ex-gouvernante des enfants de France, et sa fille, un moment menacées de mort par la bande de Lehiron.

— Ah ! je te retrouve, sœur aimée, je te retrouve dans cet acte généreux ! — ai-je dit à Victoria avec un bonheur indicible. — Ton cœur, lorsqu’il s’élève à ses nobles aspirations, domine le farouche égarement de ton esprit. Oh ! dis-moi, dis-moi comment les as-tu sauvées, ces deux malheureuses femmes ! il me sera si doux de t’entendre et d’oublier, en t’écoutant, ces horribles scènes de carnage !

— Madame de Tourzel et sa fille étaient innocentes. Eussent-elles été coupables, j’aurais encore tout tenté, afin de les arracher à la mort.

— D’où te vient cette clémence, ma sœur ?

— La peine de mort doit être épargnée à la femme : elle a été ou peut devenir mère ; elle est sacrée, la maternité la couvre…

— Bien, Victoria… je t’applaudis !

— Cette conviction ne m’est pas dictée par la peur de perdre la vie, je partage comme toi, mon frère, l’antique foi de la Gaule : je sais que l’on ne meurt pas, je sais que l’on va renaître éternellement de sphère en sphère ; mais elle est rare, cette croyance… et ceux-là qui ne