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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/291

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ma sauvegarde, sinon je passais pour tiède, pour modéré, pour suspect ! Marat, dans son journal, me dénonçait comme un traître ! Ah ! je n’oublierai jamais que l’autre jour ce monstre, auprès de qui j’ai trouvé prudent de m’asseoir à la Convention, et que j’ai le courage… et il en faut !  ! que j’ai le courage de flagorner, m’a dit, en attachant sur moi son regard d’une effrayante sagacité, qui semblait lire au plus profond de ma pensée : — « Citoyen Desmarais, es-tu vraiment… mais, là, vraiment un bon patriote ? … » — Ces paroles, qui témoignaient d’un doute chez cet homme d’une infernale pénétration, m’ont donné le frisson ; mais j’ai fait bonne contenance et j’ai répondu : — « Je voudrais que la contre-révolution n’eût qu’un cœur pour le dévorer tout saignant !  ! »

— Ah ! — s’écria madame Desmarais frémissant, — tu n’as pas dit cela, tu n’as pas pu proférer ces paroles atroces !

— Tu es bonne là, toi, avec tes jérémiades. Mais, apprends donc qu’être soupçonné par Marat, c’est avoir le cou dans le vasistas, ou si tu le préfères, dans la lunette de la guillotine ; j’ai donc répondu à ce Satan ce que j’ai dû lui répondre, afin de dissiper ses défiances ; cependant, peut-être suis-je allé trop loin, car Marat, hochant la tête et m’examinant en silence avec son regard effrayant, a repris au bout d’un instant : « — Je suis médecin et bon physionomiste, je lis sur tes traits la ruse, la mollesse, la pusillanimité, mais nullement l’énergie féroce dont tes paroles sont empreintes ! Elles doivent être exagérées, partant, fausses ; et si elles étaient fausses, ces paroles, tu serais donc un traître ? … Citoyen Desmarais, j’aurai désormais l’œil sur toi… » — Ah ! tu ne sais pas, vois-tu, ma femme, ce que c’est que de sentir peser sur soi l’œil de Marat : c’est l’œil de la mort !  !

— Seigneur Dieu ! c’est à devenir folle de terreur ! Maudit soit le jour où tu as été nommé représentant du tiers état !

— Oh ! oui, maudit soit-il ce jour ! car, de ce jour, je ne me suis plus appartenu. Lancé sur une pente irrésistible, il m’a été im-