— Moi, refuser de voter la mort de Louis XVI ! — s’écrie l’avocat Desmarais, jetant involontairement autour de lui un regard plein d’angoisse, comme s’il eût redouté que les paroles de sa femme fussent entendues. — Tais-toi, malheureuse femme ! ne répète pas ces terribles paroles, même devant notre fille, que dis-je ? Crains surtout de les prononcer devant elle, car elle serait capable de les rapporter à ce jacobin de Jean Lebrenn, et je serais perdu !
— Tiens, mon pauvre ami, excuse-moi, — répond madame Desmarais, portant ses mains à son front ; — ma tête est un chaos, mon esprit se trouble ; tu considères le régicide comme un crime horrible… tu es incapable de voter une monstruosité pareille, et cependant…
— Ah ça ! tu veux donc que volontairement je me désigne aux poignards de ces furieux ? Ne pas voter la mort du tyran… comme ils disent ! … mais ce serait, dans un temps plus ou moins prochain, signer mon arrêt de mort à moi.
— Qu’entends je ?
— Ce serait vivre en perspective de la guillotine.
— Quoi ! tu voteras le régicide ?
— Est-ce que je peux faire autrement ?
— Juste ciel ! ton nom, ta mémoire à jamais souillés par ce crime !
— Mais que veux-tu que je fasse ?
— Mon Dieu ! — murmure madame Desmarais avec épouvante ; — mon Dieu ! ayez pitié de moi !… Mon mari régicide !…
— Mais, encore une fois, que veux-tu que je fasse ? Est-ce que la prise de la Bastille, les journées d’octobre, la journée du 20 juin, le 10 août, les massacres de septembre ne m’ont pas inspiré une profonde horreur ? Et pourtant j’ai dû paraître approuver ces horreurs, que dis-je, les admirer, les exalter, en poussant à leur sujet, aux Jacobins, des cris d’énergumène, en rugissant, je te le répète, avec les tigres, afin de conserver ma réputation de patriote enragé,